Enceinte De L'Homme Qui M'a Abandonnée
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Chapitre 2

Claire POV

Je pousse la porte de l'appartement.

Ce n'est plus chez moi. En réalité, ça ne l'a peut-être jamais été, mais aujourd'hui, l'évidence me frappe avec la violence d'une gifle.

Le salon est un champ de bataille. Un manteau beige, que je ne reconnais pas, gît négligemment sur le dossier de mon fauteuil. Des tubes de rouge à lèvres ouverts jonchent la table basse, tachant presque mes livres d'art.

Marie.

Elle est partout. Une invasion silencieuse. Ses affaires colonisent l'espace, repoussant ma propre existence dans les coins sombres de la pièce.

Raphaël est affalé sur le canapé, les yeux rivés sur son téléphone. Il ne lève même pas la tête quand j'entre.

- C'est un véritable chaos ici, lâché-je, ma voix tremblant à peine.

Il hausse les épaules, un geste d'une indifférence glaciale.

- Marie n'avait pas de place chez elle pour ses nouvelles affaires. Elle les stocke ici quelques jours. Range un peu si ça te dérange tant que ça, Claire.

Range un peu.

Je suis sa bonne. Sa secrétaire. Sa chose.

Un bruit de pas feutrés me fait lever les yeux. Marie émerge de la cuisine. Le souffle me manque. Elle porte mon pyjama en soie. Celui, hors de prix, que j'avais acheté pour notre lune de miel - ce voyage qui n'a jamais eu lieu.

Elle tient une assiette à la main.

- Oh, salut Claire ! lance-t-elle, la bouche pleine, sans la moindre gêne.

Je fixe l'assiette. Elle mange mon gâteau aux fraises. Celui que j'achète religieusement chaque vendredi. Mon seul petit rituel de réconfort après une semaine d'enfer. Elle vient s'asseoir à côté de Raphaël, colle sa cuisse contre la sienne, et continue de manger avec une satisfaction obscène.

Je m'assois dans le fauteuil en face d'eux, les genoux serrés.

C'est une géométrie cruelle. Un triangle où eux forment un sommet soudé, lumineux, bruyant. Et moi, isolée à la base, terne et silencieuse.

- Raphaël, commencé-je en tentant d'ignorer la boule dans ma gorge, j'ai besoin de te parler du dossier Lambert. Il y a une clause qui...

- Ah ! me coupe Marie en éclatant de rire. Raphaël, tu te souviens quand on était à Lyon la semaine dernière ? Le client a failli renverser son café sur ta chemise ! C'était hilarant !

Elle pose sa main sur son avant-bras, un geste de possession instinctif.

Raphaël sourit. Il oublie le dossier Lambert. Il oublie que je suis là. Il oublie que je parle.

- Oui, c'était quelque chose, répond-il, les yeux brillants. Heureusement que tu étais là pour rattraper le coup.

Il me jette un coup d'œil rapide. Un regard analytique, froid comme un scalpel. Il cherche la jalousie. Il guette la douleur. C'est sa nourriture, son carburant.

Je baisse les yeux vers mon assiette vide. Je coupe un morceau de viande imaginaire pour occuper mes mains.

Dans ma tête, je récite la liste des documents à transférer pour ma démission, comme un mantra de survie. Dossier 4B. Archives 2019. Contacts clients.

Je ne lui donnerai pas la satisfaction de me voir saigner. Plus maintenant.

Le dîner se termine dans un brouillard cotonneux. Marie laisse son assiette sale sur la table, comme une reine attendant que ses sujets débarrassent.

Je me dirige vers la chambre, fuyant cette scène. Raphaël me suit.

Dans le couloir, il m'attrape brusquement par la taille. Il me plaque contre son torse dur.

- Claire, ne fais pas la tête, murmure-t-il contre mon oreille, sa voix redevenue de velours. Tu sais bien qu'il n'y a que toi qui compte. Marie, c'est juste le boulot.

Son souffle est chaud. Ses mains sont familières, expertes.

Pendant une fraction de seconde, mon corps réagit par automatisme. C'est la mémoire musculaire de l'amour, cette vieille habitude d'espérer contre toute logique.

Puis, l'odeur me frappe.

Son parfum est mélangé au sien. Une vanille écœurante entremêlée à l'odeur âcre du mensonge.

Mon estomac se soulève violemment.

Une nausée acide, brutale, irrépressible.

Je le repousse de toutes mes forces. Je cours vers la salle de bain, claque la porte et m'effondre devant les toilettes.

Mon corps rejette tout. La tristesse, la colère, l'espoir toxique.

De l'autre côté de la porte, le téléphone de Raphaël sonne.

- Oui ? Marie ? Quoi ?

Sa voix change instantanément. Elle passe de la séduction paresseuse à une urgence paniquée.

- J'arrive. Ne bouge pas.

J'entends ses pas s'éloigner précipitamment. La porte d'entrée claque comme un coup de feu.

Il ne m'a pas demandé si j'allais bien. Il m'a laissée à genoux sur le carrelage froid, en train de vomir mes tripes, pour courir vers elle.

Je me relève, tremblante, les jambes en coton. Je me rince la bouche, effaçant le goût amer de la bile.

Je retourne dans la chambre, épuisée.

Mon cœur s'arrête.

Le matelas est soulevé.

La lettre de démission est posée sur le lit, bien en évidence, comme une pièce à conviction. À côté, le billet d'avion pour Paris que j'avais imprimé et caché sous les lattes.

Il a fouillé.

Le lendemain matin, l'air est chargé d'électricité statique.

Raphaël est debout dans la cuisine, le billet d'avion à la main. Sa posture est rigide.

- Tu comptes aller où, Claire ?

Sa voix est calme, mais c'est le calme trompeur avant l'ouragan.

- À Paris, réponds-je, la voix blanche.

- Pour quoi faire ? Pleurer chez tes parents ? Tu crois que fuir va changer quelque chose ? On a construit tout ça ensemble pendant cinq ans. Tu vas tout jeter en l'air pour un caprice ?

Il s'approche. Il utilise sa taille, sa carrure, pour m'intimider, envahir mon espace vital.

- Tu n'es rien sans moi ici, Claire. Tu le sais. Retourner là-bas ne prouvera rien.

Je le regarde droit dans les yeux. Pour la première fois, le voile se déchire. Je ne vois pas l'homme que j'aime. Je vois un étranger. Un manipulateur de la pire espèce.

- Je veux juste changer d'air, dis-je froidement. Ça ne te regarde plus.

Il ouvre la bouche pour répliquer, pour m'écraser encore un peu plus sous ses mots.

Toc, toc.

Marie passe la tête par l'encadrement de la porte, les cheveux en bataille, jouant la panique.

- Raphaël ! Vite ! Le client est en ligne, c'est une catastrophe !

Raphaël se fige. Il regarde le billet dans sa main, puis Marie.

Le choix est fait en une seconde. Il n'y a jamais eu de choix, en fait.

Il jette le billet sur la table avec mépris.

- On en reparlera, crache-t-il en sortant précipitamment avec elle.

Le silence retombe, lourd et définitif.

Je m'approche de la table. Je prends le billet d'avion. Le papier tremble légèrement entre mes doigts.

Je sors un stylo noir de mon sac.

Je rature violemment le nom Claire Delcourt. C'est le nom qu'il m'avait donné, le nom de scène qu'il m'avait forcé à porter comme une promesse d'appartenance.

À côté, d'une écriture ferme, qui incise presque le papier, j'inscris mon vrai nom. Celui que j'ai caché toutes ces années pour ne pas lui faire de l'ombre.

Je prends une grande inspiration.

L'air a un goût de poussière, mais pour la première fois depuis cinq ans, il a aussi le goût de la liberté.

Ce n'est pas encore fini. Mais je ne reculerai plus.

            
            

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