Je déambulais dans la bibliothèque immense du manoir Luciano, cherchant une échappatoire dans les mots. Les murs, hauts de plusieurs mètres, étaient couverts de livres anciens, recelant des siècles d'histoires de guerres et de conquêtes. Au milieu de ces récits de sang et de gloire, je me sentais minuscule.
Je n'étais plus la fiancée naïve qui rêvait de mariage. Je n'étais pas encore une femme forte. J'étais dans l'entre-deux, dans les limbes, une âme en suspens attendant son jugement.
Je me suis figée devant un miroir baroque au cadre doré. Mon reflet me renvoyait l'image d'une étrangère. Mes joues étaient plus creuses, sculptées par l'angoisse. Mes yeux, autrefois brillants d'espoir, étaient maintenant deux puits d'encre sombre, insondables.
Je portais des vêtements que Cole avait fait livrer pour moi : des pantalons ajustés, des chemisiers en soie noire. Des vêtements de deuil, ou peut-être des vêtements de guerre.
La porte s'est ouverte sans bruit. Le bras droit de Cole, un homme bâti comme un roc nommé Dante, est entré. La tension émanait de lui par vagues.
"Mademoiselle Vance. Le Boss veut vous voir."
Je me suis raidie.
"C'est Madame Luciano, maintenant, non ?" ai-je répliqué avec une amertume qui m'a surprise moi-même. "C'est ce que disent les papiers qu'il m'a fait signer, n'est-ce pas ?"
Dante a baissé les yeux, un éclair de pitié traversant son visage stoïque. Je détestais cette pitié. Elle me rappelait ma faiblesse.
"Suivez-moi, s'il vous plaît."
Cole trônait dans son bureau. Il ne m'a pas accordé un regard quand je suis entrée. Il lisait un rapport, ses sourcils froncés en une ligne sévère.
"Assieds-toi," a-t-il ordonné sans lever la tête.
Je suis restée debout, ancrée dans le sol.
"Je ne suis pas un de tes soldats, Cole."
Il a enfin levé les yeux. Le coin de sa bouche s'est relevé en un demi-sourire prédateur.
"Non. Tu es beaucoup plus compliquée à gérer."
Il a fait glisser le rapport vers moi sur le bois sombre du bureau.
"Eric a réagi."
J'ai saisi le papier. Mes mains tremblaient légèrement, trahissant mon calme de façade.
"Santoro nie toutes les accusations. Il prétend que les documents sont des faux fabriqués par la famille Luciano pour déstabiliser l'alliance."
Bien sûr. Le déni. Sa première ligne de défense, son bouclier habituel.
"Il ne lâche rien," ai-je murmuré, la déception serrant ma gorge.
"Il panique," a corrigé Cole, sa voix tranchante comme une lame. "Il a doublé sa sécurité. Il a enfermé Stephanie dans le manoir. Il commence à douter."
Cole s'est levé et a contourné son bureau avec la grâce létale d'un félin. Il s'est appuyé contre le rebord, croisant les bras, faisant saillir ses muscles sous sa chemise.
"Mais ce n'est pas pour ça que je t'ai fait venir."
"Alors pourquoi ?"
"Parce que tu dois comprendre ta position ici. Tu te comportes comme une invitée. Ou une prisonnière."
"Ne suis-je pas les deux ?"
Il a fait un pas vers moi, envahissant mon espace personnel sans aucune hésitation. Sa présence était suffocante, magnétique, brûlante.
"Tu es ma femme, Estella. Aux yeux de la loi et de la Commission. Ce qui veut dire que tu dois apprendre à être une Luciano."
"Et ça veut dire quoi ? Apprendre à tuer ?"
"Ça veut dire apprendre à ne plus jamais être une victime."
Il a saisi mon menton, ses doigts fermes m'obligeant à le regarder dans les yeux. Son regard était un abîme.
"Eric t'a brisée parce que tu attendais qu'il te protège. Ton père t'a vendue parce que tu attendais qu'il t'aime. Ici, on n'attend rien. On prend."
Il a relâché mon visage, mais la pression de ses doigts persistait sur ma peau.
"Ce soir, il y a un dîner. Mes Capos seront là. Ils veulent voir la nouvelle maîtresse de maison. Ils veulent voir si tu es forte ou si tu es juste une jolie poupée que j'ai volée à l'ennemi."
La panique a afflué. "Je ne suis pas prête."
"Tu n'as pas le choix."
Il est retourné s'asseoir, mettant fin à la conversation aussi brutalement qu'elle avait commencé.
"Marta t'apportera ta robe. Sois prête à 20 heures. Et Estella ?"
Je me suis retournée à la porte, la main sur la poignée.
"Ne baisse pas les yeux. Une reine ne regarde jamais ses pieds."
*
À 20 heures, je descendais l'escalier monumental.
Je portais une robe rouge sang. Pas le rouge vulgaire et criard de Stephanie. Un rouge profond, sombre, viscéral, comme une veine ouverte. Elle moulait mon corps, une véritable armure de soie conçue pour séduire et intimider.
La salle à manger était remplie d'hommes dangereux. Le brouhaha des conversations s'est éteint instantanément quand je suis apparue. Le silence était lourd, chargé d'électricité.
Cole était en bout de table, tel un roi sombre. Il s'est levé. Il m'a regardée, et pour la première fois, j'ai vu autre chose que du calcul dans ses yeux. J'ai vu de l'appréciation. De la possession. Une faim brute.
Il m'a tendu la main.
J'ai traversé la pièce. Je sentais les regards peser sur moi, physiques, jugeant ma valeur. *Est-ce qu'elle en vaut la peine ? Est-ce qu'elle causera notre perte ?*
J'ai pris la main de Cole. Sa peau était chaude, rêche contre la mienne. Un point d'ancrage dans la tempête.
"Messieurs," a-t-il dit, sa voix résonnant dans le silence religieux. "Je vous présente ma femme."
Je n'ai pas baissé les yeux. J'ai forcé mon menton à rester haut. J'ai regardé chaque homme, un par un, soutenant leur regard jusqu'à ce qu'ils détournent le leur, soumis.
J'ai pensé à Eric, qui m'avait cachée, qui avait eu honte de moi. Cole m'exposait comme un joyau, mais aussi comme une arme. *Regardez ce que j'ai pris. Regardez ce que je possède.*
Le dîner a commencé. Les conversations tournaient autour du trafic, des territoires, de la guerre imminente avec les Santoro. La violence était servie entre le vin et la viande.
Un des Capos, un homme âgé au visage couturé nommé Luca, s'est tourné vers moi. Ses yeux étaient perçants, calculateurs.
"Et vous, Donna Luciano ? Que pensez-vous de la situation avec votre... ancienne famille ?"
La table s'est tue de nouveau. C'était un test. Un piège.
J'ai posé ma fourchette avec une lenteur délibérée. J'ai pris une gorgée de vin, laissant le liquide pourpre brûler ma gorge.
"Je pense," ai-je dit d'une voix claire qui a tranché le silence, "que les Santoro sont une maison construite sur du sable. Et qu'il est temps que la marée monte."
Luca a souri, dévoilant une dent en or. Cole a eu un petit rire sombre, presque imperceptible.
"Bien dit," a murmuré Cole, son souffle effleurant mon oreille.
À cet instant, j'ai senti quelque chose changer en moi. La peur s'est dissipée, remplacée par une ivresse froide, grisante. Le pouvoir. C'était ça, le pouvoir. Ne plus subir. Frapper avant d'être frappée.
Mais alors que le dessert était servi, une explosion a secoué le manoir jusque dans ses fondations.
Le monde a basculé. Les vitres ont explosé en une pluie de diamants tranchants. Les lumières ont vacillé avant de mourir.
Cole était debout en une fraction de seconde, une arme à la main, sortie de nulle part, ses réflexes aiguisés par des années de guerre.
Les alarmes ont hurlé, déchirant la nuit.
"On est attaqués !" a crié Dante en entrant en courant, le visage en sang, l'arme au poing. "Ils ont forcé la grille sud !"
Cole m'a regardée. Son visage n'était plus humain ; c'était un masque de fureur glaciale.
"Reste derrière moi," a-t-il ordonné.
La guerre n'était plus une menace lointaine. Elle venait de franchir notre porte, violente et impitoyable. Et Eric Santoro venait de commettre sa dernière erreur.