Chapitre 5

Estelle POV

La graine du doute, plantée par Clovis, avait non seulement germé, mais elle avait étendu ses racines vénéneuses malgré les efforts d'Éric pour l'étouffer.

Trois jours plus tard, poussé par une agitation qu'il ne s'expliquait pas, il est retourné chez mon père.

Il avait prétexté vouloir récupérer des documents, mais une force invisible a guidé ses pas directement vers ma chambre.

La pièce était vide. Glaciale.

Stéphane était passée par là. Elle avait fait du « rangement ».

Plus aucune trace de moi ne subsistait.

C'était comme si je n'avais jamais existé, comme si elle avait voulu effacer jusqu'au souvenir de mon passage sur terre.

Éric a tourné en rond, fébrile, ouvrant les tiroirs vides, scrutant les murs nus.

Il cherchait une preuve.

Une preuve que j'étais la méchante, que j'avais tout planifié.

Ou peut-être cherchait-il désespérément une excuse pour me détester encore plus, pour justifier sa propre cruauté.

Ma conscience, telle une main invisible, s'est focalisée sur un point précis de la pièce.

Le placard.

Là où j'avais caché la robe.

Là où Stéphane avait fouillé avant moi pour trouver l'album photo de maman, avant de le réduire en cendres.

Je sentais la présence de Stéphane dans cette pièce comme une odeur nauséabonde, persistante et écœurante.

Je me souvenais de son sourire satisfait quand elle avait déchiré la première page de l'album, juste pour entendre le son du papier qui cède.

Éric s'est approché du placard.

Il a regardé le sol, là où les lambeaux de ma robe avaient autrefois jonché le parquet.

Il s'est baissé, vérifiant s'il restait quelque chose.

Rien.

Il allait se relever, frustré, quand quelque chose a attiré son œil.

Une petite tache blanche, coincée sous la plinthe, tout au fond, là où l'aspirateur ne passait jamais.

C'était minuscule.

Invisible pour quiconque ne cherchait pas avec l'énergie du désespoir.

Mais ma volonté, mon désir ardent que la vérité éclate, semblait guider son regard.

*Regarde, Éric. Regarde ce qu'elle a fait.* Je hurlais sans voix.

Il a tendu la main, ses doigts longs et soignés effleurant la poussière.

Il a tiré le petit morceau de papier de sa cachette.

Il s'est relevé et l'a approché de la lumière crue de la fenêtre.

C'était un coin de photo.

Le fragment d'une photo ancienne, en noir et blanc.

On y voyait une main de femme posée sur une épaule d'enfant.

Et au verso, une écriture fine, élégante, à l'encre bleue délavée.

*...pour ma petite étoile, Maman, 1998.*

Le souffle d'Éric s'est bloqué dans sa gorge.

Il connaissait cette écriture.

Je lui avais montré une lettre de ma mère, une fois, au début de notre relation, quand il m'écoutait encore, quand il me regardait encore avec amour.

Il savait à quel point ces souvenirs étaient sacrés pour moi.

Mais ce n'était pas tout.

Le papier n'était pas juste déchiré.

Il portait une trace.

Une trace rouge, grasse.

Du rouge à lèvres.

Une teinte spécifique, un rouge carmin agressif.

Le rouge à lèvres que Stéphane portait tout le temps, celui qui était devenu sa signature.

Celui qu'elle avait laissé sur le col de la chemise d'Éric une fois, « par accident », en l'embrassant sur la joue.

Les pièces du puzzle se sont entrechoquées dans son esprit avec la violence d'un choc frontal.

Stéphane avait juré qu'elle n'était jamais entrée dans ma chambre.

Elle avait juré qu'elle ne savait pas où étaient les albums.

Elle avait dit que c'était Vincent qui avait jeté les « vieux papiers ».

Mais ce fragment était là, caché au fond de mon placard, marqué par sa signature écarlate.

Elle était venue ici.

Elle avait fouillé.

Elle avait détruit.

Éric a serré le petit bout de papier dans sa main jusqu'à ce que ses jointures blanchissent.

L'image de Stéphane, pleurant sur le canapé, jurant qu'elle était la victime, s'est superposée à celle d'Estelle, silencieuse, les yeux rouges, quittant la maison sous les huées.

« Non, » a-t-il murmuré, la voix rauque, brisée.

Le sol s'est dérobé sous ses pieds.

Il avait soutenu le bourreau.

Il avait chassé la victime.

La vérité, nue et laide, le regardait droit dans les yeux, et pour la première fois depuis des années, Éric a eu peur.

Il a eu peur de ce qu'il était devenu.

Et il a compris, avec une certitude terrifiante, que Clovis avait raison.

Il avait jeté le diamant.

Et le diamant était brisé.

            
            

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