4
Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

/ 1

Estelle POV
« Je ne suis pas son gardien, bordel ! »
Le hurlement d'Éric a déchiré le silence feutré du bureau, claquant comme un coup de fouet.
Sa secrétaire, qui passait prudemment la tête par l'entrebâillement de la porte, a sursauté violemment avant de disparaître, refermant le battant avec une précipitation coupable.
L'épuisement se lisait sur chaque trait du visage d'Éric. Il a laissé tomber sa tête en arrière, massant l'arête de son nez.
Les dossiers formaient des tours précaires sur son bureau, Stéphane l'avait déjà harcelé dix fois pour des futilités administratives, et maintenant, un inconnu s'y mettait.
À l'autre bout du fil, la voix de Clovis contrastait terriblement avec la fureur d'Éric. Elle était calme, posée, mais tranchante comme de l'acier trempé.
« Tu es l'homme avec qui elle a partagé sa vie pendant cinq ans, a dit Clovis. Tu es censé savoir où elle est. Tu es censé t'en soucier. »
« C'est qui, là ? » a craché Éric, frottant ses tempes qui battaient la chamade.
« Un de ses nouveaux amis ? Écoute-moi bien. Estelle nous fait une crise d'adolescence tardive, c'est tout. Elle a coupé les ponts pour me punir, pour me faire culpabiliser. C'est le b.a.-ba de la manipulation affective. »
« De la manipulation ? » a répété Clovis.
J'ai pu entendre le dégoût suinter à travers le combiné.
« Elle a tout laissé derrière elle, Éric. Elle est partie sans rien. On ne fait pas ça pour manipuler. On fait ça pour survivre. »
Invisible, mon esprit flottait dans le bureau, témoin silencieux de son aveuglement.
Il trônait dans son fauteuil en cuir, ce siège hors de prix d'où il jugeait le reste du monde.
Un rire sec, dénué de toute joie, s'est échappé de sa gorge.
« Tu ne la connais pas. Elle est fragile. Elle est incapable de vivre seule. Elle reviendra en rampant dès que son compte en banque sera à sec. »
« Son compte est vide depuis deux semaines. »
Les mots de Clovis sont tombés comme un couperet.
« Elle fait la plonge dans un café. Elle vit dans une chambre de bonne de quinze mètres carrés. Elle ne reviendra pas. »
Éric s'est figé.
L'information semblait l'avoir frappé physiquement, mais son orgueil, tel un système immunitaire hyperactif, a immédiatement érigé une barrière.
« Alors c'est son choix, » a-t-il sifflé. « Qu'elle assume sa misère. Pourquoi tu m'appelles ? »
« Parce que je pensais qu'il restait une once d'humanité en toi. Je pensais que tu voudrais savoir qu'elle est en sécurité, malgré tout ce que tu lui as fait subir. »
« Ce que je lui ai fait subir ? »
Éric s'est levé d'un bond, renversant son pot à crayons qui s'est fracassé au sol.
« Je lui ai offert un toit ! J'ai supporté ses névroses ! J'ai essayé d'intégrer sa famille de dingues ! C'est elle qui a agressé sa sœur ! »
« Tu es aveugle, » a tranché Clovis. « Et un jour, tu te réveilleras et tu réaliseras que tu as jeté un diamant pour ramasser un caillou. Mais ce sera trop tard. Ne cherche pas à la contacter. Pour elle, tu n'existes plus. »
Le clic de la fin d'appel a résonné comme un coup de feu.
Éric est resté debout, le téléphone toujours collé à l'oreille, le visage marbré de colère.
Il a projeté l'appareil sur son bureau avec une violence inouïe. L'écran s'est fissuré.
« Quel connard, » a-t-il murmuré.
Il a marché jusqu'à la baie vitrée, fixant la ville en contrebas sans vraiment la voir.
Je voyais les rouages de son esprit tourner à vide, cherchant désespérément à valider sa propre version de l'histoire.
Ses lèvres remuaient sans son, récitant ses mantras habituels.
*Estelle est dramatique. Estelle est faible. Stéphane est la victime.*
Mais pour la première fois, j'ai vu une faille dans son armure.
L'image d'Estelle servant des cafés, vivant dans un taudis, refusait de cadrer avec la « princesse manipulatrice » qu'il s'était inventée.
Son regard s'est perdu dans le vide, et je savais qu'il revoyait ce dernier message. Celui qu'elle lui avait envoyé le soir de sa fuite.
*Aide-moi, s'il te plaît. Ils mentent.*
Il l'avait effacé sans répondre.
Il l'avait traitée de menteuse.
« Elle joue la comédie, » a-t-il dit à voix haute, comme s'il pouvait forcer la réalité à se plier à sa volonté par la seule force de sa voix. « C'est juste une mise en scène... »
Je l'ai regardé, et j'ai ressenti une immense pitié.
Pas pour moi.
Pour lui.
Il s'était enfermé lui-même dans une prison d'orgueil, et il venait d'avaler la clé.
Clovis, lui, m'avait apporté des fleurs hier, à mon chevet.
Pas des roses rouges prétentieuses, mais un petit bouquet de marguerites. « Parce qu'elles sont résilientes », m'avait-il dit avec douceur.
La différence entre ces deux hommes ne résidait ni dans l'argent, ni dans le pouvoir.
C'était le cœur.
Et celui d'Éric n'était plus qu'une pierre froide, un caillou stérile que je ne voulais plus jamais tenter de réchauffer.