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Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

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Estelle POV
La nouvelle ne m'est pas parvenue par une vision, mais deux semaines plus tard, par le timbre brisé de Sidonie à l'autre bout du fil.
Je vivais désormais dans un minuscule studio meublé, enchaînant les heures comme serveuse dans un café pour payer mon loyer. C'était une existence en suspens, une tentative désespérée d'amnésie volontaire.
"Estelle... je suis passée chez ton père pour récupérer tes livres de cours," a commencé Sidonie. Sa voix tremblait, chargée d'un silence lourd de sens. "Je suis désolée. Je suis tellement, tellement désolée."
"Quoi ?" J'ai serré mon téléphone, les jointures blanchies. "Qu'est-ce qui se passe ?"
"C'est Stéphane. Elle... elle a trouvé la boîte."
Le monde s'est arrêté.
La boîte.
La seule chose que j'avais laissée derrière moi, trop lourde pour ma fuite précipitée, dissimulée au fond du grenier sous des couvertures mitées.
Elle contenait les albums photos de ma mère, ses lettres manuscrites, le reste de son parfum. C'était mon héritage. C'était la preuve qu'elle avait existé.
"Qu'est-ce qu'elle a fait, Sidonie ?" Ma voix n'était plus qu'un murmure rauque.
"Elle a tout brûlé. Elle a dit à ton père que c'était de la vieillerie, des papiers humides qui attiraient les rats. Et Vincent... Vincent l'a laissée faire."
Un cri silencieux s'est déchiré dans ma gorge, une implosion de douleur pure.
C'était comme si on m'arrachait la peau lambeau par lambeau.
Stéphane ne s'était pas contentée de me voler mon père et mon petit ami. Elle voulait incinérer mon passé.
Elle voulait effacer ma mère de la surface de la terre.
Soudain, ma conscience, ce spectre maudit qui me liait encore à eux, a été violemment tirée en arrière. Une force invisible m'a arrachée à mon studio pour me projeter vers cette maison de l'horreur.
J'ai vu Éric.
Il se tenait dans le bureau avec Vincent, un verre de cristal à la main, l'air détendu, comme s'il discutait de la météo.
"Stéphane a peut-être été un peu zélée avec le nettoyage," disait Éric, portant le verre à ses lèvres. "Mais ce n'étaient que de vieilles photos, Vincent. Estelle en fera tout un plat, comme d'habitude. C'est du passé."
Du passé.
Ma mère n'était pour eux que "du passé".
Une haine pure, liquide et corrosive, a inondé mes veines.
Éric ne comprenait rien à la perte.
Il ne comprenait rien à l'amour.
Il a alors sorti une petite boîte de sa poche, un geste fluide, presque élégant.
"J'ai pris ça pour Stéphane," a-t-il lancé à Carl qui venait d'entrer dans la pièce. "Pour lui remonter le moral. Elle se sent coupable pour les photos, la pauvre."
Il a ouvert l'écrin.
Mon souffle s'est coupé.
C'était un flacon de parfum.
*Mon* parfum.
Celui que je portais depuis mes dix-huit ans. Celui qu'il m'avait offert pour notre premier anniversaire.
Et il l'offrait maintenant à celle qui avait réduit les souvenirs de ma mère en cendres.
L'ironie était si cruelle qu'elle en devenait grotesque, presque nauséabonde.
"Tu es sérieux ?" a demandé Carl, incrédule, le visage déformé par le dégoût. "C'est le parfum d'Estelle."
"Stéphane l'aime bien," a répondu Éric en haussant les épaules avec une indifférence glaciale. "Et puis, Estelle n'est plus là pour le porter."
La vision s'est estompée, me laissant tremblante de rage.
Quelques heures plus tard, Sidonie, furieuse, avait posté une vieille photo de nous deux à l'université. La légende était cinglante : *Certaines personnes détruisent des souvenirs parce qu'elles n'ont pas d'âme. Tu me manques, ma sœur de cœur.*
Elle n'avait pas tagué Éric, mais le message était limpide.
Ce que je n'avais pas prévu, c'était l'effet papillon.
Clovis.
Clovis, ce garçon timide qui s'asseyait derrière moi en cours d'histoire de l'art, qui m'avait prêté ses notes pendant des mois sans jamais rien demander en retour.
Il avait vu le post.
Mon téléphone a vibré sur la table basse.
Un numéro inconnu.
"Allô ?"
"Estelle ? C'est... c'est Clovis."
Sa voix m'a percutée de plein fouet. Elle était comme un baume sur une brûlure à vif.
Elle était chaude, inquiète, ancrée dans le réel.
"Sidonie m'a dit que tu étais partie. Que... que c'était compliqué. Je voulais juste savoir si tu étais en sécurité."
J'ai fermé les yeux, sentant des larmes chaudes rouler sur mes joues.
Pendant qu'Éric offrait mon parfum à ma tortionnaire, un homme que je n'avais pas vu depuis trois ans s'inquiétait de savoir si j'avais un toit au-dessus de la tête.
"Je vais bien, Clovis," ai-je réussi à articuler. "Je survis."
"Dis-moi où tu es. S'il te plaît. Je ne veux rien, juste... t'apporter un café. Ou t'écouter. Juste vérifier que tu existes encore."
À travers ce lien invisible qui me hantait, j'ai senti un écho lointain : Éric riait à une blague de Stéphane.
Ce rire a scellé mon choix.
J'avais besoin de quelqu'un qui se souvenait que j'étais une personne, pas un problème à gérer.
"Je suis à Lyon, Clovis."