Chapitre 5 5

Cherry réfléchit, très sérieuse.

- Le costume gris Gucci !

Nora fronça les sourcils.

- Encore un vêtement de garçon ?

Cherry avait cette manie de s'habiller comme un petit mec. Sans lever les yeux de l'écran, elle répondit :

- Oui. Ma partie est presque finie. On va manger quoi ?

Nora tendit la main, attrapa le téléphone et le verrouilla sans douceur.

- Pizza. En bas.

- Hé ! J'étais presque...

Cherry s'interrompit. Le regard de sa mère suffit. Elle serra les lèvres, grommela :

- D'accord. Allons-y.

Dans la pièce d'à côté, Pete fixait son écran. Le pseudo « Sweetcherry » venait de se déconnecter, et le chat vocal s'était coupé. Un petit vide s'installa dans sa poitrine.

Sur le canapé, Chester Hunt lâcha un soupir soulagé.

- Ouf, t'as enfin terminé. Dépêche-toi de ranger, ton grand frère va rentrer d'une minute à l'autre.

Pete resta silencieux, l'air maussade. Chester s'approcha, curieux.

- Tu jouais avec qui ? On dirait que t'avais pas envie d'arrêter. Si tu veux, on pourra jouer ensemble. Je suis pas mauvais, tu sais. Je suis dans le top dix du serveur local. Notre chef d'équipe, "Sweetcherry", est super fort. On est potes, je lui demanderai de t'intégrer la prochaine fois...

Pete coupa l'écran, se leva et lâcha d'un ton calme :

- Oncle Chester, je veux une pizza.

Chester leva les yeux au ciel.

- Pas question. Justin va me tuer !

En tant que seul héritier des Hunt, Pete avait un emploi du temps réglé à la minute. Même sans école, ses journées étaient plus chargées que celles d'un adulte.

Aujourd'hui, profitant de l'absence de Justin, Chester avait cédé : il l'avait laissé jouer toute l'après-midi. Mais aller manger dehors, c'était franchir la ligne rouge.

- Écoute, petit, insista-t-il. Hier, t'as refusé de prendre tes médicaments jusqu'à obtenir un gâteau. Mais cette fois, ça ne marchera pas. Sois raisonnable...

Pete n'écoutait déjà plus. Il fila dans sa chambre, ouvrit son placard et attrapa le premier vêtement à portée de main : le petit costume gris Gucci, édition limitée. Il l'enfila sans hésiter.

Chester, abasourdi, tenta de l'arrêter.

- Pete ! Justin est déjà en bas !

Le garçon le fixa froidement.

- Tant qu'il n'est pas à la porte, tout va bien.

Chester sentit la sueur lui couler dans le dos. Il le regarda partir, conscient qu'une tempête approchait.

Une minute plus tard, Justin entra. Sa simple présence emplit la pièce.

Chester se tassa sur place.

- Ju... Justin.

L'homme retira son manteau, balaya la pièce du regard.

- Où est Pete ? demanda-t-il d'un ton sombre.

Chester déglutit.

- À la pizzeria... en bas.

À peine les mots prononcés, Justin fit volte-face. Chester eut juste le temps de bredouiller :

- C'est ma faute, ne t'énerve pas !

Mais son frère avait déjà disparu.

Chester soupira de soulagement... jusqu'à ce qu'une voix glaciale résonne dans son dos :

- Je m'occuperai de toi plus tard.

Les pizzas du Finest Hotel coûtaient quatre-vingt-dix-neuf dollars pièce, et la carte débordait de variétés.

Menu à la main, Nora cherchait une table libre. Cherry, élégante dans son petit costume, trottinait derrière elle.

- Maman, je vais voir les gâteaux !

- D'accord.

Mais à peine avait-elle levé la tête qu'elle tomba nez à nez avec un garçon en costume gris. Il la fixait, bouche bée.

Pete n'en revenait pas. Il ne s'attendait pas à la croiser ici. Ses yeux, d'ordinaire froids, s'illuminèrent d'une joie confuse.

Nora, le menu à la main, fronça légèrement les sourcils.

- Tu t'es perdu, mon ange ? Le comptoir des gâteaux est de l'autre côté.

« Mon ange »...

Le mot fit rougir Pete. Sa voix douce l'effleura comme une caresse. Il sentit sa gorge se nouer.

- Tu... tu es ma maman ? demanda-t-il d'une voix tremblante.

Nora resta interdite. Cherry lui jouait encore une comédie ? Tout ça parce qu'elle avait coupé son jeu ?

Elle se pencha, lui ébouriffa les cheveux et sourit.

- Bon, d'accord, c'est ma faute. Qu'est-ce que tu veux, petit glouton ? Pizza au pepperoni ?

Pete la dévisagea, les yeux écarquillés. Son cœur battait à tout rompre. Il voulait lui demander pourquoi elle l'avait abandonné, où elle était depuis tout ce temps. Mais aucun mot ne sortit. Il hocha seulement la tête.

- Oui.

Ignorant le tumulte intérieur du garçon, Nora le prit par la main et s'installa à une table tranquille dans un coin.

Pendant ce temps, Cherry hésitait devant la vitrine à desserts. Gâteau mousse ou Forêt-Noire ? Elle finit par décider de prendre les deux, mais à peine s'était-elle retournée qu'un homme grand et sévère s'approcha, la saisit sans ménagement et la souleva.

- C'est plein de sucre. Pas question !

Cherry se débattit, scandalisée.

- Hé ! Qui êtes-vous ? Lâchez-moi ! À l'aide, on me kidnappe !

La salle entière se retourna.

Justin, crispé, prit sur lui pour ne pas exploser. Il déclara d'une voix dure :

- Je suis ton père.

Chester, qui les avait suivis jusqu'ici, se prit la tête entre les mains en découvrant la scène.

Tout était terminé.

Le gamin et le despote reprenaient leur éternelle bataille.

Pete, borné comme toujours.

Justin, autoritaire au possible.

Tout se passait bien tant que Pete obéissait, mais au moindre refus, la maison devenait un champ de guerre.

Chester songea à prévenir la famille pour qu'ils viennent sauver le petit, mais il s'arrêta net en voyant Justin figé sur place. Une expression d'étonnement traversa son visage.

Quelques gouttes tièdes avaient coulé sur son cou.

Impossible...

Il relâcha un peu son étreinte et découvrit le visage trempé de larmes d'une petite fille qui criait à pleins poumons.

Cherry pleurait, le visage rougi. Entre deux sanglots, elle posa une main sur la joue de Justin et murmura :

- Papa... tu es mon papa...

Justin resta muet.

Son fils, d'ordinaire impassible, avait le visage bouleversé. Ses grands yeux noirs s'étaient remplis de larmes épaisses.

Un sentiment étrange le traversa, mélange d'impuissance et de désarroi.

- Ne pleure plus, dit-il d'une voix éraillée.

Il voulut lui essuyer les joues, mais la petite main attrapa ses doigts et les serra fort.

- Papa !

Elle avait enfin trouvé un père.

Elle n'était plus cette enfant sortie de nulle part.

Aussi vive qu'elle soit, Cherry avait toujours ressenti un pincement au cœur en voyant les autres enfants voler dans les bras de leurs pères.

Sa petite voix douce étouffa la réplique que Justin s'apprêtait à lancer - « Les garçons ne pleurent pas ».

Pete n'avait que cinq ans. Un simple gamin.

Et pourtant, le cœur du tyran, si dur d'habitude, sembla se fissurer un peu.

- Vraiment, Pete ! s'exclama-t-il, agacé. Tu pleures pour un repas ?

Mais malgré ses mots, il posa Cherry à terre avec douceur - un geste inédit venant de lui.

Cherry agrippa sa grande main comme si elle craignait qu'il s'évapore. Elle leva les yeux vers lui.

- On va dîner ensemble, papa.

Justin consulta sa montre.

- J'ai une heure, pas plus.

Chester, resté en retrait, le regardait sans savoir que dire.

Pete, d'habitude si fier, prêt à supporter la faim plutôt que de céder, venait-il de changer ?

Cherry, elle, rayonnait. Elle avait trouvé un père magnifique ! Qu'il soit vraiment le sien ou non, elle s'en moquait.

Le monde d'une enfant fascinée par la beauté était bien simple.

- Goûte ça, papa ! C'est cher, hein !

- Bois pas que du jus, tu vas pas avoir faim après !

Justin observait son fils, déconcerté par ce comportement. Chester, à côté, murmura :

- Justin... tu crois pas que Pete est possédé ?

Justin ne répondit rien.

Cherry finit par tirer sur sa manche et désigna une table au fond de la salle.

- Papa, maman est là-bas.

Justin suivit la direction de son doigt.

Une femme était affalée sur un canapé, l'air détaché du monde. Son regard vague flottait au-dessus de son assiette. Elle mangeait lentement, la tête appuyée sur une main.

Ses gestes, lents et gracieux, avaient une élégance naturelle. Ses doigts fins et souples semblaient faits pour le piano.

En face d'elle, un enfant - trop petit pour qu'on voie son visage - remuait à peine.

Justin détourna les yeux.

- Ce n'est pas ta mère, dit-il d'un ton sec.

- Si, c'est ma maman.

Son regard devint glacial.

- Écoute bien, Pete. Ne fais confiance à aucune femme. Surtout pas aux jolies.

Cherry ouvrit de grands yeux.

Comment ça ? Il refusait de reconnaître maman ? C'était injuste !

Les larmes lui montèrent aux yeux.

- Si tu dis ça, alors t'es pas mon père !

Justin la fixa, contrarié, le visage fermé. Le grain de beauté près de son œil semblait accentuer sa sévérité.

Comment cette femme avait-elle réussi à retourner son fils contre lui ?

Il fronça les sourcils.

- Tu es venu ici avec elle ?

- Bien sûr, répondit Cherry simplement.

Exactement ce qu'il pensait.

Voilà pourquoi Pete voulait soudain manger une pizza.

Justin esquissa un rire froid. Cette femme, encore en train de flirter avec un autre plus tôt dans la journée, utilisait maintenant son fils pour tenter de l'amadouer.

Son avertissement d'hier soir n'avait visiblement pas suffi.

Il se redressa brusquement.

- Ne lui parle plus.

Cherry resta figée, perdue.

Elle regarda sa mère au loin, puis son père. Le cœur serré, elle finit par suivre Justin en silence.