Elle se retrouva dans une clairière noyée d'ombre. Pas de lune, pas d'étoiles, seulement une obscurité vivante qui semblait respirer autour d'elle. Ses pieds nus s'enfonçaient dans une terre humide, glacée, et chaque pas résonnait comme un appel. Puis elle l'entendit. Ce souffle. Lent, régulier, puissant, comme celui d'un fauve tapi dans la nuit.
- Lyra...
Sa voix n'était plus humaine. Grave, éraillée, presque animale. Elle recula, cherchant à distinguer une silhouette, mais l'ombre elle-même se mit à bouger, se rassemblant devant elle pour former une masse plus sombre encore. Deux yeux brillèrent, deux lueurs ardentes dans la nuit, et soudain Raven apparut. Pas vêtu de son costume impeccable, mais drapé de noir, sa peau traversée de veines luminescentes, son sourire étiré d'une faim inhumaine.
Elle voulut parler, crier, mais aucun son ne franchit ses lèvres. Il s'approcha, chaque pas résonnant dans son ventre comme un battement étranger. Ses mains se tendirent vers elle, et avant qu'elle ne puisse s'enfuir, il l'encercla de ses bras. Ses lèvres effleurèrent sa gorge, et la morsure fut à la fois douleur et extase.
Lyra hurla, cette fois un vrai cri qui déchira l'air nocturne. Mais le cri se perdit dans l'ombre, avalé par la nuit. Elle sentit ses forces la quitter, comme si quelque chose d'elle s'arrachait pour se fondre en lui. Et dans un dernier éclat, elle vit ses yeux se dilater, engloutissant tout. Le monde disparut.
Elle se réveilla en sursaut, trempée de sueur, son souffle court et saccadé. Sa main vola instinctivement à sa gorge, mais aucune morsure, aucune trace n'y figurait. Pourtant la sensation restait, brûlante, réelle. Elle porta ensuite ses mains à son ventre. L'enfant bougea faiblement, un petit tressaillement qui la ramena à la réalité.
- Ce n'était qu'un rêve, se murmura-t-elle. Juste un rêve...
Mais quelque chose la dérangeait. Sa peau picotait, comme traversée par une énergie sourde. Elle se leva, les jambes tremblantes, et alluma la lumière de la salle de bain. Le miroir lui renvoya son visage blême, ses cheveux en bataille, ses yeux agrandis par la peur. Mais ce ne fut pas son reflet qui l'obséda. Ce fut la marque.
Sur son flanc gauche, juste en dessous des côtes, une forme sombre venait d'apparaître. Un entrelacs de lignes fines, presque comme des racines, qui pulsaient faiblement. Elle posa sa main dessus, et un frisson violent parcourut tout son corps. La marque battait au même rythme que son cœur. Non... pas son cœur. Plus bas. Comme si elle suivait la cadence de l'enfant.
- Non... non, non, non...
Elle recula, horrifiée. Ce n'était pas possible. Ce n'était pas normal. Son esprit rationnel voulait croire à une réaction cutanée, une illusion due au cauchemar, mais ses yeux refusaient de mentir. Elle toucha à nouveau la marque, et cette fois une vision fulgurante traversa son esprit : Raven, debout dans l'ombre, son regard flamboyant, et cette phrase qui résonnait encore. *Tu portes mon héritier.*
Elle lâcha un sanglot. Était-ce lui qui avait imprimé cette chose sur elle ? Était-ce l'enfant qui liait déjà sa chair à son père ?
Le téléphone vibra sur la table de chevet, la faisant sursauter. Elle s'en approcha à pas hésitants. Aucun numéro affiché. Ses doigts tremblaient en décrochant.
- Tu as rêvé de moi, n'est-ce pas ?
Sa voix. Basse, sensuelle, inévitable.
Lyra étouffa un cri et serra l'appareil contre son oreille.
- Laissez-moi tranquille !
Un léger rire franchit la ligne, sombre et délicieusement cruel.
- Je n'ai pas besoin de te suivre, Lyra. Tu m'appelles déjà. Dans tes rêves, dans ton corps, jusque dans ta peau. La marque en est la preuve.
Ses jambes cédèrent, et elle s'écroula contre le lit, tenant son ventre comme pour protéger l'enfant.
- Qu'avez-vous fait de moi ?!
Il se tut un instant, comme pour savourer sa panique. Puis sa voix se fit plus grave encore.
- Rien que ce qui devait être. Tu ne peux pas échapper à ce lien. Tu le portes en toi.
La ligne se coupa brutalement, la laissant seule avec le silence. Lyra resta là, tremblante, ses yeux fixés sur la marque qui palpitait encore, comme un second cœur qui n'appartenait pas au sien.
Et pour la première fois, elle comprit que la fuite ne suffirait peut-être pas. L'ombre était déjà en elle.
Le silence après l'appel pesait comme une chape de plomb. Lyra fixait toujours la marque sombre qui pulsait sur son flanc, hypnotisée par ce battement qui ne lui appartenait pas. Chaque vibration semblait l'enraciner davantage dans une réalité qu'elle refusait d'accepter. Elle serra son peignoir contre elle, recula vers le lit, ses jambes tremblantes, persuadée que l'air lui-même se densifiait autour d'elle.
Puis l'ombre bougea.
Elle crut d'abord à une illusion : la lampe vacilla, un souffle glacé parcourut la pièce, et l'espace entre le mur et la fenêtre se noya d'un voile mouvant. Quand ce voile se déchira, il était là. Raven. Debout, imposant, sa silhouette découpée par la pâle lumière des réverbères filtrant à travers les rideaux. Ses yeux noirs l'accrochaient avec une intensité qui la priva instantanément d'air.
- Comment... balbutia-t-elle, la gorge serrée.
Il fit un pas, son regard glissant aussitôt vers son flanc, comme s'il savait exactement ce qu'elle venait de découvrir.
- Le lien de sang s'est éveillé, dit-il d'une voix grave, sans détour. L'enfant a réclamé son héritage, et ton corps a répondu.
Lyra se recroquevilla, plaquant sa main sur la marque comme pour la cacher, mais la pulsation s'intensifia sous ses doigts, vibrant à l'unisson de ses mots.
- Ce n'est pas possible, murmura-t-elle. Vous n'avez aucun droit d'envahir ma vie ainsi.
Raven s'avança encore, ses pas mesurés, lourds d'une assurance prédatrice.
- Ce n'est pas moi qui l'ai décidé. C'est le sang. Mon sang. Le tien, désormais, entremêlé au mien. Tu peux le nier autant que tu veux, Lyra, mais chaque souffle de cet enfant scelle un peu plus ce lien.
Elle serra les poings, défiant son regard malgré la peur qui lui écrasait la poitrine.
- Non ! Ce n'est pas une chaîne. Ce n'est pas un sceau. Je suis libre, vous m'entendez ? Libre ! Je choisirai ce que je veux pour moi et pour lui.
Ses mots tremblaient, mais ils jaillirent avec une force qu'elle ne se connaissait pas. Son corps vibrait de colère et de terreur, mais aussi d'une fierté farouche.
Raven s'arrêta, à quelques pas seulement, et la contempla longuement. Ses lèvres s'étirèrent d'un sourire presque imperceptible.
- Tu as du feu, dit-il doucement. J'aurais pu t'écraser, t'enfermer, mais tu refuses de plier. C'est... dangereux.
- Dangereux pour vous, peut-être, répliqua-t-elle d'une voix vibrante. Parce que je ne vous appartiendrai jamais.
Un silence dense s'installa. Leurs regards se heurtaient comme deux lames, l'un chargé d'une volonté d'acier, l'autre d'une intensité insondable. La tension emplissait la pièce, palpable, électrique, comme si l'air lui-même pouvait éclater sous la pression.
Enfin, il rompit ce silence, son ton plus bas, presque rauque :
- Tu crois que je veux t'enchaîner ? Tu te trompes. C'est toi qui ne comprends pas encore. Le monde que tu connais est trop petit pour ce qui grandit en toi. Tu es déjà la proie des Ombres. Moi seul peux t'en protéger.
Lyra éclata d'un rire amer, ses yeux brillants de larmes contenues.
- Protéger ? En m'enfermant, en m'imposant vos règles, vos ombres, vos malédictions ? C'est ça, votre protection ?
Raven la fixa, ses mâchoires serrées, une lueur conflictuelle traversant ses yeux. Pour un instant, il sembla vulnérable, partagé entre sa soif de contrôle et un désir plus profond, plus ancien.
- Si tu savais seulement ce qui rôde déjà autour de toi... souffla-t-il.
Elle fit un pas en arrière, son dos touchant le mur.
- Peut-être. Mais je préfère affronter ces ténèbres par moi-même plutôt que de me perdre sous votre domination.
Ses mots claquèrent dans l'air, et le silence qui suivit fut lourd, suffocant. Raven, immobile, la regarda comme si elle venait de tracer une frontière qu'il n'avait pas prévue. Une étincelle d'admiration passa dans son regard, mêlée à quelque chose de plus sombre, de plus insatiable.
Il inclina légèrement la tête, un sourire glacé au coin des lèvres.
- Tu peux fuir encore, Lyra. Tu peux croire à ton indépendance. Mais souviens-toi : chaque battement de ce cœur que tu portes me ramènera à toi. Que tu le veuilles ou non.
Et sur ces mots, l'ombre autour de lui se fit plus dense. En un souffle, il disparut, laissant derrière lui un silence oppressant et la trace persistante de son parfum, boisé et métallique.
Lyra s'écroula sur le lit, tremblante. Ses larmes coulèrent enfin, mais derrière elles brûlait une résolution nouvelle. Il voulait la protéger à sa manière, en la domptant. Elle, elle choisirait la sienne : défendre sa liberté, coûte que coûte.
Même si cela signifiait affronter Raven lui-même.