Elle se redressa lentement, ses cheveux défaits tombant en cascade sur ses épaules. La chambre, bien que magnifique, lui paraissait hostile. Tout y respirait le luxe et la puissance : les tapis tissés à la main, les candélabres d'or, les fresques représentant des loups et des batailles anciennes. Pourtant, elle s'y sentait étrangère, comme une intruse dans une cage dorée.
Le craquement de la porte la fit sursauter. Une servante entra, portant un plateau où reposaient du pain frais, des fruits et une cruche de lait. Elle posa le tout sur une petite table sans même lever les yeux vers Léa.
- Majesté, dit-elle d'un ton sec, vos habits pour aujourd'hui sont prêts.
Le mot « majesté » sonnait comme une insulte. Léa perçut dans sa voix un mépris à peine voilé, comme si elle n'était pas digne de ce titre. Elle ouvrit la bouche pour répondre, mais la servante s'inclina rapidement et sortit, la laissant seule à nouveau.
Léa resta un moment immobile, les mains crispées sur la couverture. Elle avait rêvé, comme toutes les filles de son âge, d'un mariage heureux, d'un amour partagé. Mais ce qu'elle vivait n'avait rien d'un rêve : elle n'était qu'une marchandise livrée à un roi qu'on disait maudit.
Après avoir mangé quelques bouchées sans goût, elle enfila la robe que la servante avait déposée. Le tissu était somptueux, d'un bleu profond brodé de fils d'argent, mais elle avait l'impression de porter un déguisement. Chaque détail la rappelait à sa condition d'« épouse du roi », mais pas d'une épouse aimée - seulement d'une femme destinée à remplir une fonction.
On vint la chercher peu après. Deux gardes la conduisirent à travers les longs couloirs du palais. Les pierres grises semblaient absorber la lumière, et partout où elle passait, les serviteurs la dévisageaient avec des yeux durs. Certains chuchotaient entre eux, leurs murmures se répercutant contre les murs.
« Voilà l'épouse vendue... »
« Elle ne tiendra pas longtemps, aucune ne survit... »
« Pauvre fille, elle ne sait pas encore... »
Chaque mot était une flèche plantée dans sa chair. Elle gardait la tête haute, mais ses poings serrés trahissaient la tempête en elle.
On lui fit visiter les jardins suspendus, les salles du trône, la bibliothèque ancienne. Tout était grandiose, imposant, conçu pour rappeler la puissance du roi Alpha. Pourtant, même au cœur de cette splendeur, Léa ressentait une atmosphère pesante, comme si le palais entier était bâti sur des malédictions.
Alors qu'elle traversait une galerie où des vitraux projetaient des éclats multicolores, elle entendit des voix venant d'une salle adjacente. Elle s'arrêta, attirée malgré elle par la conversation.
- La nouvelle compagne, dit une voix grave, croyez-vous qu'elle résistera ?
- Aucune ne résiste, répondit un autre. C'est écrit : toute femme liée au roi est condamnée à souffrir.
- Pourtant, murmura une troisième voix, certains disent qu'elle porte déjà la marque...
- Alors son sort est scellé. Quoi qu'elle fasse, elle finira brisée.
Léa se plaqua contre le mur, le souffle court. Ses mains tremblaient. Était-ce cela, la vérité qu'on lui avait cachée ? Était-elle vouée à la douleur simplement pour avoir croisé le chemin de Théo ?
Elle recula doucement, mais son pied heurta une dalle. Le bruit résonna. Le silence tomba dans la pièce. Léa n'attendit pas qu'on vienne vérifier : elle s'éloigna rapidement, le cœur battant à tout rompre.
De retour dans sa chambre, elle s'effondra sur le lit. Ses pensées s'entrechoquaient. Était-elle une victime livrée à un destin cruel, ou bien une élue que le sort avait placée sur la route du roi pour une raison qu'elle ignorait encore ?
Elle revoyait ses yeux d'acier, ce lien invisible qui les avait reliés la veille. Si tout cela n'était que souffrance, pourquoi son cœur s'était-il enflammé lorsqu'il l'avait touchée ? Pourquoi cette odeur sauvage éveillait-elle en elle une chaleur qu'elle ne voulait pas ressentir ?
La porte s'ouvrit brusquement. Une autre servante entra, plus jeune, portant des draps propres. Contrairement aux autres, elle jeta un coup d'œil furtif à Léa, hésita, puis murmura presque imperceptiblement :
- Méfiez-vous...
Léa se redressa.
- Que veux-tu dire ?
La jeune fille blêmit, baissa les yeux et secoua la tête.
- Je ne devrais pas parler. On me punirait.
Elle changea rapidement les draps et disparut, laissant Léa plus troublée encore.
La journée s'écoula lentement. Chaque coin du palais semblait lui rappeler qu'elle n'était pas chez elle. Les repas pris en silence, les couloirs interminables, les regards accusateurs des serviteurs... Tout pesait sur ses épaules comme une chaîne invisible.
Le soir venu, on la mena de nouveau dans la grande salle. Théo était assis sur son trône, entouré de ses conseillers. L'air était saturé d'encens et de murmures.
- Approche, ordonna-t-il d'une voix glaciale.
Elle s'avança, les yeux baissés.
- Tu apprendras à connaître ce palais, dit-il, mais n'oublie jamais que tu es ici par devoir, non par choix.
Elle leva enfin le regard, affrontant ses yeux.
- Et toi ? demanda-t-elle d'une voix ferme malgré sa peur. Est-ce ton choix de vivre ainsi, dans le froid et la malédiction ?
Un silence de plomb tomba. Les conseillers échangèrent des regards choqués. Théo, lui, resta immobile. Son regard s'assombrit, une lueur dangereuse y passant.
- Tu es courageuse, dit-il enfin. Ou insensée.
Léa sentit son cœur se serrer, mais elle ne détourna pas les yeux.
- Peut-être les deux.
Un instant fugace, elle crut voir dans son regard autre chose qu'une froideur de pierre - une ombre de douleur, de regret. Mais il la balaya aussitôt, se levant brusquement.
- Qu'on la reconduise à ses appartements.
Les gardes la saisirent et l'entraînèrent dehors. Elle marcha sans résister, mais au fond d'elle, une révolte grandissait. Elle n'était pas qu'une épouse vendue. Elle n'était pas qu'un ventre destiné à donner un héritier. Et si elle devait souffrir, alors elle trouverait la raison, le sens caché derrière ce destin cruel.
Cette nuit-là, allongée dans son lit froid, Léa ferma les yeux et se fit une promesse : elle découvrirait la vérité sur cette malédiction, et elle choisirait son propre chemin, même si cela devait lui coûter la vie.