Léa, vêtue d'une robe blanche qu'on lui avait imposée, avançait lentement, encadrée par deux servantes qui ne lui adressaient pas un regard. Chaque pas qu'elle faisait résonnait contre le marbre glacé, et plus elle s'approchait de la grande salle, plus son souffle devenait court. Son cœur battait à tout rompre, pas par excitation, mais par une terreur sourde.
Derrière les portes massives sculptées de symboles anciens, des voix résonnaient. Les conseillers du roi étaient réunis, impatients, comme des vautours autour d'une proie. On disait que certains d'entre eux avaient vendu leurs propres enfants au roi, espérant gagner ses faveurs. Et maintenant, c'était son tour.
Les battants s'ouvrirent brusquement. Léa fut poussée à l'intérieur. La salle était pleine de nobles et de guerriers, mais tous s'écartèrent pour laisser passer l'air froid qui émanait du trône. Là, assis comme une statue vivante, se trouvait Théo. Son regard d'acier était fixé droit sur elle, impénétrable, et son visage ne laissait transparaître aucune émotion.
Un conseiller à la barbe grise prit la parole d'une voix forte :
- Majesté, il est temps. Le royaume attend un héritier. L'union doit être consommée ce soir, afin de sceller le pacte.
Un murmure parcourut l'assemblée. Certains approuvaient avec ferveur, d'autres baissaient les yeux, conscients que ce mariage n'avait rien d'un conte de fées.
Théo ne bougea pas immédiatement. Ses doigts effleuraient l'accoudoir du trône, son regard sondant Léa comme s'il voulait percer son âme. Elle se sentit nue, exposée, incapable de respirer.
- Qu'il en soit ainsi, dit-il enfin, d'une voix grave qui résonna dans toute la salle.
Les servantes s'approchèrent aussitôt, lui prenant le bras pour la conduire plus près du trône. Elle aurait voulu reculer, fuir, hurler, mais ses jambes étaient de plomb. Sa gorge était sèche, et pourtant ses lèvres tremblaient d'un mot qu'elle n'osait pas prononcer : « non ».
Elle sentait autour d'elle les regards avides, les murmures étouffés. Tous attendaient ce moment. Pour eux, elle n'était qu'un ventre destiné à porter un enfant, une marionnette entre les mains d'un roi maudit.
Lorsque Théo se leva, la salle entière s'inclina. Il descendit lentement les marches, son manteau noir glissant derrière lui comme une ombre vivante. À mesure qu'il s'approchait, Léa sentit un parfum subtil l'envahir. C'était une odeur sauvage, mélange de pin, de terre humide et de pluie orageuse. Son cœur se serra douloureusement. Elle ne comprenait pas pourquoi cette fragrance déclenchait en elle une chaleur étrange, presque insupportable, comme si chaque fibre de son être reconnaissait quelque chose en lui.
Il s'arrêta devant elle. Le silence était total. Il tendit la main, mais son geste n'avait rien de tendre : il la saisit par le poignet et la força à relever la tête. Ses yeux rencontrèrent les siens, et ce fut comme si une étincelle invisible traversait l'air entre eux.
Une brûlure éclata dans sa poitrine, se propageant dans ses veines. Léa haleta, ses jambes vacillant sous l'intensité de cette sensation. C'était comme si une chaîne invisible venait de se forger entre eux, indestructible, reliant leurs âmes à jamais.
- Qu'est-ce que... murmura-t-elle, incapable de détourner le regard.
Mais Théo ne réagit pas. Son visage resta de marbre, ses yeux d'acier glacés. Il relâcha son poignet et fit un signe de la main.
- Emmenez-la.
Deux gardes la saisirent aussitôt et la conduisirent hors de la salle, sous les regards avides des conseillers. Personne ne remarqua qu'elle se tenait la poitrine comme pour calmer une douleur invisible, ni que ses yeux étaient embués de larmes.
On la mena dans une chambre immense, aux murs décorés de tapisseries anciennes représentant des loups et des batailles sanglantes. Un feu crépitait dans l'âtre, mais la chaleur qui en émanait ne parvenait pas à dissiper le froid qui l'envahissait. Les rideaux de velours rouge, lourds et épais, étouffaient la lumière de la lune.
Léa s'assit au bord du lit, ses mains tremblantes serrant le tissu de sa robe. Chaque battement de son cœur rappelait la brûlure qu'elle avait ressentie, cette étrange marque invisible qui la liait à Théo.
La porte s'ouvrit.
Il entra, seul.
Sa silhouette imposante se découpa dans la lumière des flammes. Ses pas résonnaient sur le marbre comme des coups de tonnerre. Il s'arrêta à quelques pas d'elle, la toisant sans un mot.
- Tu as peur, dit-il enfin, d'une voix basse et glaciale.
Elle releva les yeux, affrontant son regard malgré les tremblements de son corps.
- Comment pourrais-je ne pas avoir peur ? répliqua-t-elle, sa voix brisée mais ferme. On raconte tant de choses sur toi...
Un sourire amer étira ses lèvres.
- Et tu crois ces histoires ?
- Les compagnes du roi ne survivent jamais, chuchota-t-elle. Est-ce une légende, ou la vérité ?
Il détourna le regard, ses mâchoires se crispant. Son silence fut plus éloquent qu'une réponse.
Léa sentit les larmes monter, mais elle se força à ne pas pleurer. Elle ne voulait pas lui donner ce plaisir.
- Tu pourrais me tuer, dit-elle dans un souffle, mais je ne plierai pas.
Théo s'approcha, si près qu'elle sentit à nouveau cette odeur sauvage l'envelopper, cette fragrance qui réveillait en elle une chaleur qu'elle refusait d'admettre. Il s'agenouilla devant elle, posant une main ferme sur son menton pour relever son visage.
- Ne t'imagine pas être plus qu'une pièce sur l'échiquier, murmura-t-il. Tu es ici pour une seule raison : donner un héritier.
Ses mots transpercèrent son cœur comme une lame glacée. Pourtant, derrière sa cruauté, elle perçut une étincelle fugitive, une hésitation qu'il tenta aussitôt de dissimuler.
- Pourquoi moi ? demanda-t-elle, la voix étranglée.
Il ne répondit pas. Ses yeux d'acier se voilèrent, comme s'il refusait de dévoiler un secret trop douloureux.
Le silence s'épaissit. Théo finit par se redresser, reprenant sa froideur habituelle. Il ôta son manteau et s'approcha du lit.
Léa recula instinctivement, son souffle haletant. Tout son corps criait de s'échapper, mais une force invisible, ce lien qu'elle ne comprenait pas, la clouait sur place.
- Tu es à moi désormais, dit-il, d'une voix glaciale.
Elle ferma les yeux, une larme roulant sur sa joue. Pourtant, au plus profond d'elle-même, elle sentit cette brûlure étrange s'intensifier, comme si son âme reconnaissait la sienne malgré la douleur.
La nuit s'étira, pleine de silences lourds, de gestes contraints, de regards fuyants. Théo resta froid, distant, ne lui offrant rien d'autre que l'impression d'être une étrangère dans un rôle imposé. Mais chaque fois que leurs yeux se croisaient, cette flamme invisible revenait, les reliant malgré eux.
Quand enfin elle s'endormit, épuisée, Léa comprit une chose terrible : elle était liée à lui d'une manière qu'elle ne pouvait ni comprendre, ni rejeter. Et lui, le Roi Alpha, refusait obstinément de voir ce lien, comme si l'ignorer pouvait effacer la vérité.
Cette nuit marqua le début de sa captivité véritable, non pas derrière des murs de pierre, mais dans la prison invisible d'un destin qu'elle n'avait jamais choisi.