Chapitre 5 Chapitre 5

Ses prunelles s'étaient ancrées aux miennes, comme si plus rien autour n'existait. Ce regard me paralysait et, pourtant, une chaleur étrange montait dans ma poitrine. Comment décrire ce que je ressentais à cet instant précis ? C'était irréel, comme si mes pensées se brouillaient dans un rêve impossible à distinguer de la réalité.

Owen... est-ce vraiment mon compagnon ?

Ces mots résonnaient dans ma tête, tambourinaient dans mes tempes, au point de m'en étourdir. Depuis toujours, j'avais caressé ce souhait en secret, comme une prière murmurée dans le silence de mes nuits.

Enfant, je l'avais aimé sans le savoir vraiment. Nous partagions nos jeux, nos rires, nos chamailleries. À cette époque, il n'était pas encore question d'Alpha ou d'Omega. Juste deux enfants inséparables, unis par une complicité spontanée. Puis le temps avait passé, lui avait été aspiré par son entraînement, forgé pour devenir l'héritier, le futur Alpha, tandis que moi, je m'enterrais dans mes études, bien loin de son univers. Pourtant, même dans l'ombre, mes yeux le suivaient partout, incapables de s'en détacher.

Un soir, ce fut lui qui changea mon destin. Je marchais seule sur le chemin du retour, inconsciente du danger. Des voyous surgirent, m'entourèrent, prêts à m'assaillir. La peur m'avait paralysée. Et puis, il apparut. Owen s'interposa, me protégea sans réfléchir, prêt à se blesser pour moi. Ce soir-là, il me sauva. Seuls mon père et l'Alpha furent mis au courant de l'incident. On choisit de taire la vérité à Luna et à ma mère, pour les préserver de l'angoisse. Mais, pour moi, ce fut une révélation : mon cœur s'attacha plus profondément à lui. À partir de cette nuit, il devint l'unique objet de mon amour.

Et maintenant... ce lien, ce destin que je croyais hors d'atteinte, me tombait dans les mains. Mon compagnon, c'était lui. Owen. Celui que j'avais toujours aimé malgré mes efforts pour me raisonner.

Je ne pouvais m'empêcher de le fixer. Ses lèvres s'entrouvrirent comme pour prononcer quelque chose, mais il se retint. Pourtant, il ne semblait pas surpris.

Il savait déjà ?

Je m'avançai vers lui, hypnotisée, au point d'oublier la présence de Colton à ses côtés. Quand je me retrouvai face à lui, Owen resta muet, bouche entrouverte, me regardant droit dans les yeux. Alors, incapable de retenir l'émotion, je lui offris un sourire tremblant et prononçai doucement :

- Compagnon.

Un raclement de gorge rompit le silence. Je tournai la tête : Colton. Il observait la scène avec un sourire en coin, alternant son regard entre Owen et moi. En s'approchant, il glissa à mon oreille :

- Bravo ! Tu as ton prince... enfin non, ton roi. Et ta compagne en prime.

Je ne répondis pas. Mon univers ne se résumait qu'à Owen, à ses yeux brûlants, à ce silence lourd de mille vérités tues. Colton finit par s'éloigner, nous laissant seuls, face à face.

Les yeux d'Owen se teintèrent d'un rouge ardent avant de s'assombrir. Sa main se referma sur la mienne.

- Viens avec moi, souffla-t-il, d'une voix tendue, presque désespérée.

Je sentis mon cœur bondir. Il voulait me parler. Avec lui, je n'avais plus peur de rien.

Il m'entraîna à travers les arbres, loin des regards, jusqu'à ce que la forêt nous enveloppe de son ombre. Là, il lâcha ma main et se retourna vers moi.

- Je n'arrive toujours pas à y croire, murmurai-je en souriant.

Il détourna le visage, hocha la tête.

- Pourtant c'est vrai. Tu es ma compagne.

Mais son ton manquait de chaleur. Quelque chose clochait.

- Tu ne sembles pas surpris. Dis-moi, Owen... tu étais déjà au courant ?

Pas un mot. Le silence. Je fronçai les sourcils.

- Pourquoi tu ne dis rien ?

Il inspira profondément, ferma les yeux, puis tourna le dos.

- Owen ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Il finit par lâcher :

- Emery, je ne peux pas t'accepter.

Mon souffle se coupa.

- Q-quoi ?

Il serrait les poings, le visage tendu.

- C'est à cause de Tatum ? demandai-je, espérant qu'il allait nier, me rassurer.

Il me fixa alors droit dans les yeux.

- Non. Pas à cause d'elle. Mais parce que je ne peux pas être lié à une Omega.

Ses mots frappèrent comme un coup de poignard.

- Comment... qu'est-ce que tu veux dire ? balbutiai-je.

- Nos familles sont proches, continua-t-il, c'est pour ça que j'ai gardé le silence. J'ai senti le lien la semaine dernière, mais je ne veux pas de ça.

Je reculai, les lèvres tremblantes.

- Je le savais...

- Quoi ? fit-il.

- Que je n'étais pas ton genre.

- Je l'ai dit parce que je savais que tu m'écoutais, derrière moi.

- Et maintenant, tu continues ? Tu voulais me briser le cœur depuis le début ?

Il détourna les yeux.

- Je ne sais pas ce que tu ressens, mais...

- Non, tu ne sais pas ! hurlai-je, incapable de retenir mes larmes. Tu ignores à quel point je t'aime. Owen, tu es le seul. Depuis toujours.

Ses prunelles s'assombrirent.

- Ce sont tes sentiments, pas les miens.

Un rire amer m'échappa. Les larmes dévalaient mes joues.

- Alors pourquoi m'avoir sauvée ce soir-là ?

- Parce que tu étais faible. Une oméga incapable de se défendre. J'aurais fait la même chose pour n'importe qui. Une femelle Alpha ou Bêta n'aurait jamais eu besoin de moi.

Ses paroles me déchirèrent. J'avais espéré une confession, j'obtenais du mépris.

- Écoute-moi bien, Emery. Je n'ai rien pour toi. Tu ne peux pas imposer ton amour sous prétexte de ce lien. Je suis destiné à diriger la meute. Mon Alpha aura besoin d'une Luna forte, capable de protéger tous les nôtres, pas d'une oméga fragile qu'il faut sauver.

Je baissai la tête, écrasée par ses mots. J'avais honte, mal, le cœur lourd, incapable de parler. Lui, que j'avais aimé plus que tout, me renvoyait à ma faiblesse, à mon insignifiance.

Et puis, il prononça la phrase qui me fit l'effet d'une condamnation :

- Moi, Alpha Owen, je te rejette, toi, Omega Emery, comme compagne.