L'Opale fêlée
img img L'Opale fêlée img Chapitre 4 L'odeur du piège
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Chapitre 6 Le masque et la braise img
Chapitre 7 Le témoin introuvable img
Chapitre 8 La stratégie de Lina img
Chapitre 9 La lettre de la mère img
Chapitre 10 La barrière morale img
Chapitre 11 L'oncle et le laboratoire img
Chapitre 12 Verre brisé img
Chapitre 13 Le dévoilement img
Chapitre 14 Fiançailles de plomb img
Chapitre 15 L'écho d'un cœur img
Chapitre 16 La clause, enfin img
Chapitre 17 Référé : le nom et le sang img
Chapitre 18 L'après-midi du mensonge img
Chapitre 19 Le port et la preuve img
Chapitre 20 Le sauvetage img
Chapitre 21 La fille de personne img
Chapitre 22 La bascule img
Chapitre 23 Gala des masques img
Chapitre 24 Héritages img
Chapitre 25 Choisir l'amour img
Chapitre 26 Les jours de papier img
Chapitre 27 Cartographie du mensonge img
Chapitre 28 Voix simples img
Chapitre 29 Ariadne sort du fil img
Chapitre 30 Attacher les fils img
Chapitre 31 Épilogue - Saison claire img
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Chapitre 4 L'odeur du piège

Nora agrandit encore la page. L'annotation jaune clignotait presque. La phrase complète apparut, glaciale et magnifique à la fois :

« Tout héritier Delcourt issu de cette union, reconnu dès la constatation médicale de la grossesse, bénéficie d'une protection patrimoniale et décisionnelle. La partie Delcourt s'engage à : (a) nommer un médiateur commun en cas de conflit, (b) déclencher un audit indépendant sur tout acte susceptible de nuire aux intérêts de l'héritier, (c) s'abstenir de toute communication publique portant atteinte à la mère jusqu'à résolution. »

Nora sentit ses épaules s'abaisser d'un centimètre. Reconnu dès la constatation. Pas « à la naissance ». Maintenant. Son maintenant.

- C'est énorme, souffla Maya derrière elle. On dirait un gilet pare-balles en PDF.

- Ça ne m'empêchera pas de prendre des coups, répondit Nora. Mais ça peut les ralentir.

Elle referma doucement l'ordinateur, comme on ferme un coffre. La soupe d'Esmeralda fumait sur la table. Elles mangèrent en silence, deux cuillères après l'autre, les nerfs qui se dépliaient. Le téléphone vibra. Laboratoire Valméra. Nora lança l'appli d'une main tremblante.

- Ça dit quoi ? demanda Maya à voix basse.

- Positive. Taux élevé. Pas de doute, dit Nora. C'est... réel.

Maya sourit, yeux brillants. Pas de cris. Juste ce sourire loyal qui disait je suis là. Elle attrapa un post-it et écrivit : Certificat médical - ASAP.

- Dr Soria ? proposa-t-elle. C'est la gynéco de ma cousine. Discrète, pro, pas du genre à vendre des infos pour des sacs.

- Appelle, dit Nora. S'il y a un créneau aujourd'hui, je prends.

Maya pianota. Deux phrases, un merci, un hochement de tête.

- 18 h 30, à sa clinique du Vieux-Port. Entrée par l'arrière. Elle comprend la vibe.

- Parfait.

Un nouveau message s'afficha sur l'écran de Nora. Ariadne.

« Bien. Le certificat est la clé. Après, on actionne 12.3. Tu vas aussi avoir besoin d'un masque social. À partir de demain, tu t'appelles Noa Rivera. CV light, mission courte. Une porte s'ouvrira chez Valencia Marine, partenaire Delcourt. Tu observeras. Tu noteras. Tu ne parleras à personne de confiance qui porte un costume parfaitement repassé. »

- Noa Rivera, lut Maya. J'aime bien. Ça te ressemble sans te trahir. Nora/Noa, même musique. Et Rivera... la mer. Très toi.

- C'est bizarre de choisir un autre nom comme on enfilerait une veste, souffla Nora. Mais oui. Noa. D'accord.

- Je te fais une adresse mail propre, dit Maya. noa.rivera@... Quel domaine ?

- Prends mon vieux domaine d'étudiante. Personne ne fera le lien. Et... fais simple. Simple,

c'est chic, et ça passe partout.

Maya s'activa, efficace. Entre deux cliquetis de clavier, elle osa une micro-blague : - Noa Rivera. NR. Nouvelle Règle du jeu. Ça te va ?

- Ça me va, sourit Nora malgré la tension. On appelle Calvino pour la clause ?

- On l'appelle de la rue, pas d'ici.

Elles quittèrent le studio une heure plus tard, capuches relevées. La rue du Citronnier avait la douceur d'un après-midi lavé par la pluie. Deux adolescentes prenaient des selfies devant la boutique d'Esmeralda. Un livreur sifflotait. Normalité, version fragile.

- On prend la ruelle derrière les Halles, dit Maya. Moins de regards.

Nora accepta. Au coin, elle eut un frisson sans raison. Pure intuition, ce sixième sens affûté par la peur. Elle se retourna. À vingt mètres, une berline sombre, vitres fumées, garée en double file, moteur discret. Pas d'immatriculation visible d'ici.

- Tu vois ? murmura-t-elle.

Maya jeta un coup d'œil rapide, façon je regarde la vitrine, pas la voiture.

- Je vois. On ne panique pas. On marche. On prend à gauche, puis à droite, puis encore à gauche. Si elle suit, on avisera.

Elles marchèrent, pas accélérés, pas trop. La berline ne bougea pas. À la troisième rue, pourtant, quand elles s'engagèrent dans l'étroite impasse des Filets, un autre véhicule stationné fit un léger appel de phares avant de s'éteindre. Rien de dramatique. Un détail qui gratte.

- Ça pue la filature low-cost, commenta Maya entre ses dents. On garde notre trajectoire. Pas de sprint. On a des certifs à décrocher.

Nora inspira par le nez. Tu protèges. Tu avances. Elle fit glisser sa main sur son ventre, geste devenu réflexe. Notre histoire. Nos règles.

La clinique de Dr Soria se cachait derrière une porte grise, avec un simple S. gravé. À l'intérieur, lumière chaude, odeur légère de désinfectant et de verveine. Dr Soria avait la quarantaine, un regard franc, des gestes doux.

- Maya m'a prévenue, dit-elle sans détour. On va faire simple et précis. Vous êtes en sécurité ici. Je vous écoute.

Nora raconta en peu de mots. La vidéo, l'exil, la grossesse, la clause. Dr Soria ne se permit pas un commentaire people. Elle nota juste.

- On va confirmer et datation approximative. Je vous ferai le certificat tout de suite. Vous avez quelqu'un de confiance pour garder ces documents ?

- Maître Calvino. Et un huissier déjà saisi, répondit Nora.

- Parfait. On ne joue pas contre la mer, on apprend à surfer, dit Soria d'une voix calme.

L'échographie fut brève, tendre, presque solennelle. Un point de lumière. Un tic. Des chiffres à l'écran.

- Voilà votre preuve et votre vérité, dit Dr Soria en imprimant. Félicitations.

Nora ne pleura pas. Elle sourit. Maya sanglota en silence, visage tourné vers le mur pour ne pas faire la grande scène. Soria signa le certificat, tampon net, écriture claire. Elle glissa le papier dans une pochette plastique.

- Prenez-en soin comme d'un passeport. - Merci, docteure.

- Tenez-moi au courant. Et... Nora ? Mangez. Dormez. Éteignez internet deux heures par jour. C'est de l'hygiène mentale.

Elles ressortirent dans le soir qui descendait, couleur miel. La mer du Vieux-Port avait cette lumière dorée qui donne envie de pardonner à tout le monde sauf aux coupables.

- Huissier, maintenant, dit Maya. On scelle le certificat. - Oui.

Au bureau de l'huissier, le tampon fit encore ce bruit rassurant. À 19 h 40, elles étaient de retour dans la rue. La berline sombre se matérialisa à l'autre bout du quai, phare allumé, phare éteint, comme un clin d'œil qui met mal à l'aise.

- Il nous suit, chuchota Maya. On passe par le tunnel piéton, puis on remonte par Sainte- Claire. Beaucoup de monde, caméras municipales. Peu de risques.

Elles accélérèrent un peu. Nora sentit le premier vrai vertige de la journée, pas de panique, de fatigue. Maya lui glissa une barre de céréales dans la main.

- Kro, dit-elle. Ton dragon a faim.

Nora croqua, rit malgré elle, reprit son souffle. La ville abritait, la ville exposait. Double jeu permanent.

Sur le chemin, le téléphone vibra encore. Ariadne.

« Bien joué. Tu tiens la clé. Maintenant, écoute : quelqu'un cherche ton adresse. Ne rentre pas directement au Citronnier. Prends vingt minutes, fais un détour, entre dans un lieu plein de monde. Et surtout, si on te tend de l'argent contre ton silence, ne refuse pas tout de suite. Dis : "J'ai besoin de 24 heures." »

- Elles sont partout, ces 24 heures, murmura Nora. C'est devenu mon mot de passe. - Ton bouclier légal, rectifia Maya. On les use avec style.

Elles s'arrêtèrent au Café des Navigants, plein de bruits, de verres qui tintent, d'odeur de pizza. Deux chaises au fond, dos au mur, vue sur la porte. Parano ? Non. Hygienne. Esmeralda les rejoignit dix minutes plus tard, débarquant comme un rayon de boutique dans ce décor de marins.

- J'ai fermé tôt, dit-elle. Je ne laisse pas mes filles marcher dans la nuit sans rouge à lèvres et sans plan B.

- On fait un détour, expliqua Maya. Ensuite, on file. Esmeralda posa un sac en toile sur la table, le regard sérieux :

- Dedans, perruque châtain, lunettes rondes, sweat-shirt large. Mode étudiantes Erasmus. Le glamour attendra.

- Tu es parfaite, dit Nora en l'embrassant. Tu as peur ?

- Toujours un peu. La peur garde vif. Mais j'ai plus peur pour eux s'ils pensent pouvoir vous prendre de vitesse.

Elles restèrent vingt minutes. Nora surveillait la porte comme on surveille la mer. Rien à signaler. Quand elles ressortirent, la nuit était tombée. Rue du Citronnier, les volets bleus coupaient la lumière. Tout semblait posé.

- On y est, souffla Maya. Dernière ligne droite.

Nora hocha. Elle pensa au nom Noa. Au papier signé par Soria. À Calvino qui préparait ses missiles juridiques. À Ariadne qui glissait un fil dans l'ombre. À Adrian, soudain, comme une écharde douce-amère. Elle imagina sa main sur le pupitre, son « Pardon » muet. Son cœur se serra. Elle remit la clé dans la serrure.

Un froissement de pneus fit lever leurs têtes en même temps. En face, stationnée en biais, une berline noire venait de couper ses phares. Une vitre descendit au tiers. Dans le reflet du réverbère, on distingua juste la lueur d'un écran de téléphone et la courbe d'un sourire qui n'était pas là pour être aimable.

            
            

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