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Il n'y eut pas de lumière.
Pas de bruit strident.
Pas de vertige.
Juste un silence plus dense.
Et une sensation étrange, comme si l'air autour d'elle s'était mis à retenir sa respiration.
Neïla se redressa lentement.
Le toit du lycée était exactement comme dans son souvenir.
La rambarde en métal, légèrement rouillée. La dalle fendue par endroits. Le ciel au-dessus, épais de nuages.
Elle regarda autour d'elle, s'attendant presque à voir un détail bouleversé. Une faille. Un signe.
Mais non.
Tout semblait parfaitement... normal.
Elle resta là quelques minutes, à écouter le vent.
Puis, sans vraiment comprendre ce qu'elle faisait, elle redescendit. Les escaliers grinçaient sous ses pas, mais elle n'y prêta pas attention.
La trappe était restée ouverte au-dessus d'elle.
Comme si elle n'avait jamais été fermée.
Elle traversa les couloirs.
Il n'y avait personne.
Le bâtiment semblait désert, mais vivant. Comme si quelque chose venait juste de se passer... ou était sur le point d'arriver.
Elle sortit par la grande porte vitrée, celle de l'entrée principale.
Et c'est là que la première fissure apparut.
Le trottoir était toujours là.
Le banc aussi.
Mais quelque chose clochait.
Elle mit quelques secondes à comprendre.
Le lampadaire à l'angle de la rue - celui qui avait été remplacé par une borne LED moderne - était redevenu un vieux poteau noir, en fonte.
La boulangerie d'en face avait changé d'enseigne.
Et là où devait se trouver un petit coffee shop branché, il y avait désormais une papeterie scolaire, comme on n'en voyait plus depuis longtemps.
Elle fronça les sourcils.
Elle n'avait pas rêvé.
Elle connaissait ce quartier. Elle y avait passé deux années entières. Rien n'avait été comme ça.
Les voitures, aussi...
Elles semblaient plus anciennes. Moins racées, moins brillantes.
Et les passants - des lycéens surtout - portaient des écouteurs filaires, de vieux sacs à dos, des jeans larges et délavés.
Un malaise flotta en elle.
Un doute flou.
Pas encore une panique. Juste... un froissement du réel.
Elle marcha un peu, comme pour se prouver qu'elle délirait.
Le ciel était exactement le même, pourtant. Mais la ville... elle avait reculé.
Comme si le monde s'était refermé sur une version plus ancienne de lui-même.
Et alors, au détour d'une rue, elle vit quelque chose qui ne pouvait pas exister.
Une affiche scolaire punaisée sur un mur - annonçant la rentrée de septembre 2015.
Elle sentit son souffle se suspendre.
Elle s'approcha lentement.
Toucha l'affiche.
Du vrai papier. De la vraie encre.
Pas un souvenir. Pas une hallucination.
Elle se retourna brusquement.
Chercha un repère, un visage connu. Une faille dans ce qu'elle vivait.
Mais il n'y en avait pas.
Tout était cohérent, tangible, vivant.
Elle regarda ses mains.
Rien n'avait changé. Pas vraiment.
Mais au fond d'elle, elle le savait.
Ce n'était plus son temps.
Elle retourna vers le lycée, le cœur battant.
Les couloirs, cette fois, étaient pleins de bruits.
Des voix. Des rires. Des pas d'élèves qui couraient dans les escaliers.
Et puis elle l'entendit.
Un prénom lancé au loin, dans un éclat de voix :
- Lucas ! T'attends quoi ? Bouge-toi !
Elle s'arrêta net.
Le prénom résonna comme un fil qu'on tire dans un tissu déjà fragile.
Elle n'eut pas besoin de le voir.
Elle sut.
Elle le sentit, quelque part dans ce bâtiment. Vivant.
Et elle, plantée là au milieu des couloirs de son propre passé, ne savait plus si elle rêvait... ou si elle était enfin éveillée