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Les jours suivants passèrent comme du papier calque.
Rien ne changea vraiment. Et pourtant, tout paraissait différent.
Neïla allait au travail, comme d'habitude.
Elle s'asseyait à son bureau, répondait aux mails, corrigeait des textes qu'elle ne lisait qu'à moitié. Elle hochait la tête quand on lui parlait. Ses mains bougeaient. Son corps était là.
Mais son esprit...
Son esprit errait.
Loin.
Depuis la conversation avec Damien, Lucas était partout. Dans la lumière du matin. Dans les pas pressés des lycéens qui passaient devant les vitres de l'immeuble. Dans le bruit feutré des touches de clavier.
Elle le voyait parfois dans les reflets. Pas son visage. Juste une présence. Une tension douce dans l'air.
Comme si une partie du monde continuait de vibrer à son souvenir, alors que tout le reste l'avait déjà oublié.
Un soir, en rangeant quelques affaires dans une vieille boîte à chaussures qu'elle gardait dans son armoire, elle tomba sur un carnet écorné.
Un vieux carnet de lycée. Le genre qu'on n'ouvre plus depuis dix ans.
Elle le feuilleta distraitement, sans trop savoir ce qu'elle cherchait.
Des formules de maths. Des gribouillis. Une phrase encerclée au crayon :
« Si tu ouvres la trappe au-dessus du toit, le temps s'arrête. »
- Lucas.
Elle cligna des yeux.
Elle s'en souvenait maintenant.
Un jour, en sortant d'un cours, Lucas lui avait raconté cette vieille rumeur.
Une légende inventée par les élèves : il y aurait, au-dessus du bâtiment principal, une trappe cachée. Une fois ouverte, elle permettait - disait-on - d'arrêter le temps. Ou de le remonter.
Certains affirmaient que des élèves l'avaient trouvée et qu'ils n'étaient jamais redescendus.
Elle, elle avait haussé les épaules.
Lucas, lui, avait souri. Ce sourire étrange, à moitié rêveur.
« Je sais que ça ne veut rien dire. Mais j'aime l'idée. »
Elle n'y avait jamais cru.
Mais maintenant... elle ne savait plus.
C'est presque sans y penser qu'elle s'y rendit.
Un vendredi soir.
Le ciel était lourd, chargé d'un gris opaque, mais la ville restait tiède.
Elle traversa les rues lentement, sans se presser.
Elle n'avait pas mis les pieds au lycée depuis plus de sept ans.
Il avait été rénové, repeint. Mais il gardait la même ossature. Les mêmes recoins.
Et en elle, quelque chose se réactivait.
Elle gravit les marches une à une, comme en apnée.
Le bâtiment était désert. Il y avait une étrange paix dans ce silence scolaire, après les heures de cours.
Arrivée au dernier étage, elle hésita.
La porte vers l'escalier de service grinça sous sa main.
Elle monta encore. Jusqu'à ce palier qu'on atteignait rarement, celui des techniciens, des entretiens.
Et là... elle la vit.
La trappe.
Juste là, dans le plafond.
Un carré métallique, marqué par les années, légèrement rouillé.
Elle se demanda comment Lucas avait su qu'elle existait.
Puis elle se rappela que Lucas remarquait toujours ce que les autres ignoraient.
Elle tira une chaise abandonnée, monta dessus.
Ses mains tremblaient un peu. Elle hésita.
Et puis, elle poussa.
La trappe s'ouvrit sans résistance.
Un souffle tiède la frôla. Pas un vent.
Une sensation.
Elle se hissa lentement, sans même comprendre pourquoi elle continuait.
Elle n'était pas de celles qui croyaient aux légendes.
Et pourtant...
Et pourtant...
Elle passa son corps entier à travers l'ouverture.
Et au moment exact où ses pieds quittèrent le sol d'en bas, tout changea.
Le silence se dilata.
L'air devint plus lourd, plus dense.
La lumière... différente.
Et dans ce battement suspendu, le monde vacilla.