Pour atteindre cette perfection que Marc admirait tant, Sophie menait une vie d'ascète. Elle se levait à cinq heures du matin pour une séance de sport intensive, suivie d'une heure de yoga. Ses repas étaient pesés au gramme près : des légumes vapeur, des protéines maigres, pas une goutte d'huile, pas un grain de sucre. Elle passait des heures à prendre soin de sa peau, de ses cheveux, de ses ongles. C'était un travail à plein temps, une discipline quasi militaire pour sculpter et maintenir une image. Elle se privait de tout ce qui pouvait apporter un plaisir simple, un réconfort.
Elle vivait dans une cage dorée de contraintes.
En public, ce contraste entre les deux cousines était saisissant. Quand elles sortaient ensemble, les regards se posaient sur Sophie, admiratifs. Jeanne, avec sa simplicité et sa joie de vivre, semblait fade à côté. Les gens comparaient, jugeaient. "Sophie est si élégante", disaient-ils. "Jeanne devrait faire un effort, avec un fiancé comme Marc Lefevre." Jeanne entendait ces murmures, mais elle les balayait, persuadée que l'amour de Marc était plus fort que les apparences.
Ses parents, eux, avaient vu le danger. Leur insistance pour que ce mariage se fasse rapidement ne venait pas d'une ambition pour le statut social de Marc. C'était de la peur. Ils voyaient leur fille, si passionnée et si peu soucieuse des codes de ce monde impitoyable, et ils craignaient pour son avenir. Ils pensaient que le mariage la protégerait, lui donnerait une sécurité que son talent seul ne pourrait peut-être pas lui garantir face à la superficialité ambiante. Ils voulaient juste son bonheur, et ils croyaient, à tort, qu'il passait par cette union.
Sophie, sentant la tension monter dans le salon, se leva. Elle s'approcha de Marc, posant une main délicate sur son bras.
"Marc, n'en dis pas plus," murmura-t-elle, la voix pleine d'une fausse tristesse. "C'est de ma faute. Je n'aurais jamais dû... te laisser voir ce qui me manquait à moi. Jeanne est ma cousine. Je ne peux pas lui faire ça. Je vais partir."
C'était un coup de maître. En se sacrifiant faussement, elle se donnait le beau rôle, celui de la femme noble et généreuse, rendant Jeanne encore plus défaillante en comparaison.
Marc la retint, son regard s'adoucissant. Il était complètement sous son charme.
"Non, Sophie. Tu ne partiras pas," dit-il fermement. "Tu es la victime ici. Tu es trop bonne. C'est Jeanne qui ne comprend pas."
Il se tourna vers Jeanne, le visage dur. "Tu vois ? Voilà une vraie femme. Pleine de grâce et de compassion."
Jeanne les regarda, son expression toujours aussi calme. La comédie était pathétique. Elle voyait clair dans leur jeu, dans la manipulation de l'un et la bêtise de l'autre. Elle sentit une immense lassitude l'envahir. Elle ne voulait plus de ce drame, de ces mensonges.
Elle prit une profonde inspiration et sa voix résonna, claire et nette, dans le silence tendu.
"J'accepte."
Tout le monde se figea.
"J'accepte d'annuler le mariage," répéta-t-elle.
Sophie et Marc la dévisagèrent, abasourdis. Ce n'était pas du tout la réaction qu'ils attendaient. Le script venait de voler en éclats.