Tout avait commencé de manière idyllique. Le gouvernement nous avait attribué, à Marc et à moi, deux postes de direction prestigieux, une consécration pour nos carrières prometteuses. Nos mariages, célébrés en grande pompe, semblaient tout aussi parfaits. Nos épouses, Sophie Bernard et Camille Leroy, étaient belles, intelligentes, charismatiques. Nos couples étaient cités en exemple, la parfaite incarnation de la réussite.
Mais ce n'était qu'une façade, un décor de théâtre soigneusement monté pour notre destruction.
La crise économique a été le détonateur. Un an après nos mariages, alors que le pays sombrait dans le chaos, elles ont agi. Sophie et Camille, nos épouses aimantes, se sont liguées contre nous. Elles ont utilisé nos secrets, nos vulnérabilités, nos relations, pour orchestrer notre chute. Elles nous ont accusés de malversations, de corruption, de trahison. Elles nous ont livrés en pâture à une opinion publique affamée de boucs émissaires.
Je me souviens encore du visage de Sophie, mon ex-femme, le jour de notre confrontation finale. Un sourire narquois déformait ses lèvres autrefois si douces.
« Pierre, le scandale a dû être douloureux... Aujourd'hui, je t'ai enfin rendu la monnaie de ta pièce ! »
À côté d'elle, Camille, la femme de mon frère, brandissait une montre de luxe, un modèle rare. Je savais que cette montre appartenait à son ex-partenaire, Jeanne. Elle a regardé mon frère avec une fausse émotion dégoulinante de venin.
« Antoine, j'attendais ce jour, nous leur avons fait payer le prix fort. Attends, je vais bientôt te restaurer ta réputation. »
C'est à ce moment précis que tout est devenu clair. La pièce manquante du puzzle s'est mise en place avec une clarté brutale. Elles croyaient que nous avions forcé leurs ex-partenaires, Antoine et Jeanne, à démissionner de leurs postes. Elles pensaient que nous étions responsables de la "chute" de leurs "âmes sœurs". Leurs mariages avec nous n'avaient jamais été une question d'amour, mais une vengeance longuement mûrie.
La suite a été une descente aux enfers. Marc a tout perdu. Sa carrière a été pulvérisée, sa réputation anéantie. Il a été ruiné, brisé. Moi, grâce à une réputation professionnelle plus solide, j'ai échappé à la ruine financière, mais pas à l'humiliation. J'ai été contraint à la démission, mon nom devenant synonyme de disgrâce.
Les jours qui ont suivi ont été un long supplice. Nous étions devenus des parias. Isolés, abandonnés de tous. La pression était insupportable. Je me souviens de la pluie battante contre les fenêtres, du sentiment d'étouffement, de l'impression que les murs se refermaient sur nous.
Puis, le noir.
Et soudain, une lumière aveuglante.
J'ai cligné des yeux, désorienté. L'odeur de cuir et de vieux bois a rempli mes narines. J'ai reconnu le bureau de notre père. Assis en face de moi, mon frère Marc avait la même expression de stupeur que moi.
Notre père, un homme d'affaires influent au visage sévère, était en train de parler. Sa voix était exactement la même que dans mes souvenirs.
« ...et donc, j'ai arrangé vos mariages avec Sophie Bernard et Camille Leroy. Ce sont des femmes exceptionnelles, issues de bonnes familles. Cette alliance renforcera la position de notre famille et sera bénéfique pour vos carrières. La cérémonie aura lieu le mois prochain. »
Je n'écoutais qu'à moitié. Mon regard était fixé sur Marc. Nos yeux se sont croisés. Dans son regard, j'ai vu la même horreur, la même compréhension, le même soulagement insensé. Il était revenu, lui aussi. Nous étions revenus au jour où tout avait commencé, au jour où notre père avait scellé notre destin funeste.
Un sourire glacial s'est dessiné sur mes lèvres. Marc m'a renvoyé un sourire identique, plein de promesses silencieuses. La haine, la douleur, la rage de notre vie passée brûlaient encore en nous, mais cette fois, elles n'étaient plus des poisons. Elles étaient notre carburant.
J'ai interrompu notre père d'une voix calme et tranchante, une voix qui ne tremblait pas.
« Père. »
Il s'est arrêté, surpris par mon interruption.
Marc a continué, son ton tout aussi ferme.
« Nous avons une nouvelle proposition. »