Je sens le froid de l'eau de la baignoire de la neuvième mort.
Je sens les flammes qui ont consumé mon corps dans la cinquième.
Je sens l'impact de la voiture qui m'a fauchée dans la deuxième.
La douleur de la chute du haut d'un immeuble dans la septième.
Le poison brûlant ma gorge dans la quatrième.
Chaque mort, chaque agonie, chaque once de terreur et de désespoir des neuf cycles s'abat sur moi en même temps. C'est une cacophonie de souffrance, une surcharge sensorielle qui menace de faire éclater mon esprit.
[Alerte système. Fusion des données mémorielles critiques. Stabilité psychique de l'hôte à 12%.]
La voix du système est un écho lointain dans la tempête qui fait rage dans ma tête.
Je trébuche, mes jambes ne me portent plus.
Julien me tire sans ménagement, me forçant à rester debout. Nous arrivons dans le hall d'entrée, loin des regards de la plupart des invités.
Il me plaque contre un mur, son visage à quelques centimètres du mien.
"Tu es dégoûtante," crache-t-il. "Je pensais pouvoir te purifier, te modeler, faire de toi quelque chose de propre. Mais tu es pourrie jusqu'à la moelle."
Il lève la main, et je me prépare à la gifle.
Mais il s'arrête. Un sourire lent et cruel se dessine sur ses lèvres.
Il se penche et dépose un baiser sur mon front. Un baiser d'une douceur choquante, un geste de tendresse complètement déplacé.
"Tu sais, Amélie," murmure-t-il, sa voix redevenue douce. "Je t'ai aimée. À ma façon."
Puis il se redresse. Il aperçoit deux de ses amis, des types riches et arrogants, qui nous regardent avec curiosité depuis le bar.
Julien leur fait un signe de tête.
"Les gars," dit-il d'un ton désinvolte, comme s'il offrait un verre. "Amélie est un peu tendue ce soir. Elle a besoin de se détendre. Amusez-vous bien avec elle. Je vous la laisse."
Le monde s'arrête.
Le sens de ses mots me frappe avec la force d'un camion.
Il ne va pas seulement me quitter. Il ne va pas seulement m'humilier.
Il va me livrer à eux. Comme un morceau de viande. Comme un objet dont il n'a plus l'usage.
C'est le sommet de sa cruauté, le point culminant de son sadisme. Me briser complètement, corps et âme, devant tout le monde.
Les deux hommes s'approchent, un sourire lubrique sur leur visage.
Et à cet instant, au milieu de la marée de douleur des neuf morts passées, quelque chose se brise en moi. Ou peut-être que quelque chose se répare enfin.
La mission. Le sauvetage. L'amour.
Tout ça, c'est fini.
Je le regarde, Julien, mon bourreau, mon monstre. Et pour la première fois, je ne ressens plus de peur.
Je le regarde droit dans les yeux.
"Je te pardonne, Julien," dis-je, ma voix est étonnamment calme.
Il fronce les sourcils, surpris par ma réaction.
"Et je te souhaite de la trouver," continué-je. "Je te souhaite de trouver ta Sophie. Je te souhaite de rester avec elle, piégé dans ton obsession, pour l'éternité."
Ce n'est pas une bénédiction. C'est une malédiction.
"Faites ce que vous voulez," dis-je aux deux hommes qui m'empoignent déjà les bras. "Ça n'a plus d'importance."
Je ferme les yeux et j'abandonne. J'abandonne la mission. J'abandonne l'espoir.
J'abandonne Julien à son propre enfer.
Et dans cette reddition, je trouve une étrange forme de libération.