Le Cycle Infini de Julien et Amélie
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Chapitre 2

Je suis son âme, flottant dans l'air, forcée de le suivre partout où il va.

Après avoir nettoyé la salle de bain avec une efficacité glaçante, comme s'il ne faisait que laver une tache de vin, Julien se dirige vers une pièce que je n'avais jamais vue auparavant.

Une porte cachée derrière une bibliothèque dans son atelier.

Il y entre et je le suis, traversant le bois comme un courant d'air.

L'intérieur est un sanctuaire.

Mais pas un sanctuaire pour l'art. C'est un sanctuaire pour Sophie.

Les murs sont couverts de ses photos, à tous les âges. Des peintures d'elle, toutes réalisées par Julien, la représentant comme un ange, une sainte.

Au centre de la pièce, sur un piédestal de velours noir, il y a des moulages en plâtre.

Je reconnais une main, délicate et fine. Un visage aux yeux fermés, serein dans la mort.

C'est elle. Il a moulé des parties de son corps, peut-être après sa mort.

L'obsession est bien plus profonde que je ne l'avais jamais imaginé.

Julien s'approche du moulage de la main, le prend avec une infinie précaution, comme s'il s'agissait de la relique la plus sacrée.

Il le porte à ses lèvres, le baise tendrement. Puis il le caresse, ses doigts parcourant les contours du plâtre, ses yeux fermés dans une extase silencieuse.

"Mon amour, bientôt," murmure-t-il. "Bientôt, elle sera assez pure. Son âme sera assez brisée pour que je puisse l'utiliser pour te ramener."

Me ramener ? Utiliser mon âme ?

La nausée me submerge, même sans corps physique. Ce n'est pas de l'amour, c'est de la nécromancie psychologique. C'est de la folie pure.

Je me souviens.

Je me souviens de la troisième boucle. J'avais besoin d'argent pour financer une de ses expositions. J'ai vendu le seul bijou que ma mère m'avait laissé. Un petit collier sans grande valeur monétaire, mais qui représentait tout pour moi.

Quand je lui ai donné l'argent, il a à peine levé les yeux de sa sculpture.

"Pose ça là," avait-il dit, d'un ton neutre. Pas un merci. Pas un regard.

Et maintenant, je le vois idolâtrer un morceau de plâtre.

La comparaison est si violente, si injuste, qu'une rage froide que je n'ai jamais ressentie auparavant commence à grandir en moi.

Je me souviens d'autre chose, d'une conversation que j'avais surprise lors du septième cycle. Il parlait à un ami de Sophie.

"Elle était la pureté incarnée," disait-il. "Elle ne se serait jamais souillée. Un jour, elle a accidentellement renversé de l'huile chaude sur sa main en cuisinant. Elle a refusé que je la touche pendant une semaine, disant que sa main était impure."

À l'époque, j'avais trouvé ça étrange, un peu extrême.

Maintenant, je comprends. Ce n'était pas de la pureté, c'était une autre forme de maladie mentale, une maladie qu'il a transformée en culte.

Et moi, j'ai tout accepté. J'ai accepté ses sautes d'humeur, sa froideur, sa cruauté occasionnelle, pensant que c'était le fardeau d'aimer un "artiste torturé".

Quel cliché ridicule. Quelle aveugle j'ai été.

Il passe des heures dans cette pièce, parlant aux photos, polissant les moulages, se perdant dans son monde délirant.

Puis, il sort. Il va dans la cuisine, ouvre une bouteille de vin hors de prix, met de la musique classique et commence à cuisiner un repas somptueux.

Pour lui seul.

Il mange avec appétit, savourant chaque bouchée, tout en regardant le portrait de Sophie dans le salon.

Le contraste est saisissant.

Moi, morte dans la baignoire il y a quelques heures. Mes sacrifices, mes efforts, ma douleur... tout ça pour qu'il puisse dîner tranquillement en tête-à-tête avec un fantôme.

L'ironie est si amère, si totale. Je ne ressens plus de tristesse. Je ne ressens plus de désespoir.

Seulement un froid immense.

Le froid de la vérité.

            
            

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