Julien est assis sur le couvercle des toilettes, me regardant avec une expression étrange, un mélange de fascination et de dégoût.
Il est artiste, un sculpteur de génie, mais ce que le monde ne voit pas, c'est la cruauté qui se cache derrière son visage charismatique.
"Amélie," dit-il d'une voix douce, presque caressante, "pourquoi tu ne peux jamais être parfaite ? Juste un peu plus, et tu aurais pu lui ressembler."
Je sais de qui il parle. Sophie Martin. Son ex-petite amie décédée, la femme parfaite, l'obsession qui le ronge.
Chaque fois que je me rapproche de lui, chaque fois que je pense avoir enfin percé sa carapace, il me détruit. Il trouve une nouvelle façon de me faire souffrir, une nouvelle façon de me tuer, comme s'il rejouait un scénario macabre encore et encore.
La douleur est insupportable, non seulement la douleur physique de la lame qui a ouvert mon abdomen, mais aussi la douleur psychologique de neuf échecs consécutifs.
Neuf vies passées à essayer de gagner son cœur, neuf vies terminées dans la violence et le sang.
Mon souffle se fait court, ma vision se brouille.
"Système, réinitialisation," je murmure dans mon esprit, c'est la procédure standard. Après chaque mort, le Système me ramène au début, efface une partie de mes souvenirs traumatisants et me relance dans le cycle.
Mais cette fois, rien ne se passe.
Une voix mécanique et glaciale résonne dans ma tête.
[Alerte. Erreur système. Surcharge de données émotionnelles. Impossible de procéder à la réinitialisation complète.]
Quoi ?
Mon cœur, qui battait déjà faiblement, semble s'arrêter. Impossible ?
[Déclenchement du protocole d'urgence. Passage en mode observateur.]
Soudain, la douleur disparaît. Le froid s'estompe. Je flotte.
Je regarde en bas et je vois mon propre corps, inerte dans la baignoire ensanglantée. Julien est toujours là, me fixant.
Je suis devenue une sorte d'esprit, une âme désincarnée, invisible et inaudible.
Je m'attends à ce qu'il montre du remords, de la tristesse, ou même de la panique.
Mais non.
Il se lève, s'approche de la baignoire, et son visage s'illumine d'un sourire étrange, un sourire de satisfaction. Il plonge sa main dans l'eau rougie par mon sang, non pas pour vérifier si je suis encore en vie, mais pour une autre raison.
Il sort son téléphone, prend une photo de mon corps sans vie, puis il compose un numéro.
Sa voix est calme, presque enjouée.
"C'est fait. La neuvième fois. Elle est magnifique ce soir, presque aussi belle que toi le jour de ta mort, mon amour."
Il parle à quelqu'un ? Non, c'est un message vocal.
Il se dirige ensuite vers le mur du salon, où est accroché un grand portrait. C'est une femme d'une beauté éthérée, avec un sourire doux et triste. C'est Sophie Martin.
Julien regarde le portrait avec une adoration fanatique.
"Sophie, ma Sophie... J'ai tout fait comme tu le voulais. J'ai recréé la scène, encore et encore. J'ai trouvé quelqu'un qui te ressemble, je l'ai fait tomber amoureuse de moi, je lui ai donné de l'espoir, puis je l'ai détruite. Neuf fois. Pour toi. Pour purifier son amour, pour le rendre digne de ton souvenir."
Je flotte dans la pièce, paralysée par l'horreur.
Tout était un mensonge.
Ma mission n'a jamais été de le sauver.
Le Système ne m'a pas envoyée ici pour guérir Julien de son chagrin.
J'étais le sacrifice. J'étais l'agneau sacrificiel sur l'autel de son obsession morbide. Chaque cycle, chaque souffrance, chaque mort n'était qu'une partie de son rituel tordu pour honorer une femme morte.
La mission était un piège depuis le début, et mes neuf vies de souffrance n'étaient qu'une farce cruelle.