"Tu n'es pas mon ami. Et tu ne toucheras jamais plus à rien dans ce restaurant."
Antoine laissa tomber le masque du gentil garçon. Son visage se durcit. "C'est ce que tu crois. Sophie et Marc pensent que j'ai un talent fou. Ils pensent que je suis l'avenir. Toi, tu n'es que le passé, un petit pâtissier coincé dans les traditions de ses parents."
La rage monta en Jean-Luc, brûlante et incontrôlable. "Sors de mon chemin."
"Ou quoi ?" le défia Antoine. Il fit un geste brusque pour attraper le colis. Jean-Luc l'esquiva, mais dans le mouvement, le paquet lui glissa des mains. Il tomba lourdement sur le sol carrelé du couloir. Un bruit sec et sinistre se fit entendre. Le bruit d'une lame qui se brise.
Jean-Luc se figea. Il savait, sans même avoir besoin d'ouvrir la boîte, que le couteau le plus fin, le plus cher, était cassé. Un cadeau qu'il s'était fait à lui-même, symbole de son art et de son avenir. Un avenir qu'Antoine venait de briser, littéralement.
"Oh, mon Dieu ! Je suis désolé !" s'exclama Antoine, jouant la comédie de la surprise et du remords. "Je ne voulais pas... C'est ta faute, tu m'as poussé !"
Au même moment, la porte de l'autre appartement s'ouvrit en grand. Sophie et Marc, alertés par le bruit, se précipitèrent dans le couloir.
"Qu'est-ce qui se passe encore ?" cria Marc.
Ils virent Antoine, l'air affligé, et Jean-Luc, le visage contracté par la fureur, debout au-dessus du colis abîmé.
"Il m'a attaqué !" gémit Antoine. "Je voulais juste lui parler, et il est devenu fou. Il a jeté le paquet par terre pour m'accuser !"
"Jean-Luc, ça suffit !" hurla Sophie, se précipitant aux côtés d'Antoine pour le réconforter. "Regarde ce que tu as fait ! Tu es violent maintenant ?"
"C'est lui qui a essayé de me le prendre !" tenta de se défendre Jean-Luc, mais sa voix était couverte par les accusations de ses anciens amis.
"Arrête de mentir," dit Marc, le regard plein de dégoût. "On a tout vu. Tu ne supportes pas qu'Antoine soit là, alors tu deviens agressif. Tu me déçois profondément."
Jean-Luc les regarda. Sophie tenant Antoine dans ses bras comme s'il était une victime fragile. Marc le fusillant du regard comme s'il était un criminel. Personne ne lui demanda sa version. Personne ne se soucia de ce qu'il y avait dans la boîte, de ce que cela représentait pour lui. La trahison n'était plus une blessure, c'était un gouffre qui les séparait à jamais.
"Très bien," dit Jean-Luc, sa voix retrouvant ce calme effrayant de la veille. Il ne se baissa même pas pour ramasser le colis. "Gardez-le. C'est un cadeau."
Il leur tourna le dos, rentra dans son appartement et ferma la porte à clé. Il s'adossa contre le bois, le cœur battant à tout rompre. Il n'y avait plus de retour en arrière possible. Cette fois, c'était vraiment, vraiment fini. La haine qu'il ressentait pour eux était si pure, si intense, qu'elle en devenait presque paisible. Elle lui donnait une force nouvelle. La force de partir et de ne jamais revenir.
Quelques jours plus tard, il y eut une autre soirée organisée. Il ne voulait pas y aller, mais ses parents insistèrent, espérant encore une réconciliation. La soirée fut une torture. Il était assis seul dans un coin, tandis que le trio inséparable riait et s'amusait. Il entendit des bribes de conversation, des chuchotements. "Le pauvre Jean-Luc, il est tellement jaloux." "Il a du mal à accepter le changement."
Il vit Sophie ajuster la cravate d'Antoine avec une tendresse évidente. Il vit Marc trinquer avec lui, lui promettant une collaboration "légendaire". Chaque geste était une nouvelle insulte. À un moment, quelqu'un lança une pique dans sa direction.
"Alors, Jean-Luc, toujours à jouer dans ton coin ? Tu devrais apprendre à partager le gâteau."
Jean-Luc se leva, son verre à la main. Il regarda le groupe, son regard s'attardant sur Sophie et Marc.
"Certaines choses ne valent pas la peine d'être partagées," dit-il d'une voix claire et forte. "Et parfois, il vaut mieux jeter les ingrédients périmés plutôt que de risquer l'intoxication."
Un silence gêné tomba sur l'assemblée. Personne ne comprit vraiment le sens de ses paroles, mais ils sentirent tous le venin qu'elles contenaient. Sophie et Marc le regardèrent avec un mélange de colère et d'incompréhension. Jean-Luc posa son verre et quitta la pièce, laissant derrière lui une atmosphère glaciale.