Des photos, des petits cadeaux d'anniversaire accumulés au fil des ans, le tire-bouchon que Marc lui avait offert pour ses vingt ans, l'écharpe que Sophie lui avait tricotée un hiver. Chaque objet était un souvenir, une petite blessure. Il remplit le carton sans un regard en arrière, scella le tout avec du gros ruban adhésif et le déposa devant la porte de l'appartement que ses deux anciens amis partageaient.
Il n'eut pas à attendre longtemps. Une heure plus tard, son téléphone vibra. C'était Sophie. Il ignora l'appel. Puis Marc. Il ignora aussi. Finalement, ils se présentèrent à sa porte, le fameux carton posé à leurs pieds. Sophie martelait la porte avec son poing.
"Jean-Luc, ouvre ! Qu'est-ce que c'est que ce cirque ?"
Jean-Luc ouvrit la porte, son visage impassible. Il regarda le carton, puis eux.
"Qu'est-ce que ça veut dire ?" demanda Marc, l'air à la fois blessé et en colère.
"Je fais du rangement," répondit Jean-Luc d'un ton plat, dénué de toute émotion. "Je n'ai plus besoin de ces choses."
Sophie le dévisagea, cherchant une faille, un signe de la crise de colère qu'elle attendait. Mais il n'y avait rien. Juste un calme effrayant. "Tu boudes ? C'est ça ? Pour une petite dispute hier ? Tu es vraiment un gamin."
"Pense ce que tu veux, Sophie. Ça n'a plus d'importance."
Marc secoua la tête, incrédule. "On est amis depuis toujours, Jean-Luc. Tu ne peux pas jeter notre amitié comme ça, dans un carton."
"Apparemment, si. C'est vous qui m'avez montré comment faire," répliqua Jean-Luc, son regard se durcissant un instant avant de redevenir vide. Il referma doucement la porte, les laissant sur le palier avec leurs souvenirs emballés.
Ils ne comprirent pas. Il le savait. Dans leur esprit, ce n'était qu'un caprice, une colère passagère. Ils pensaient qu'il reviendrait en rampant, comme toujours. Ils se trompaient lourdement. Plus tard dans la journée, en sortant faire une course, il les vit par la fenêtre du restaurant. Ils étaient attablés avec Antoine, en train de déguster sa tartelette framboise-pistache. Antoine expliquait quelque chose avec de grands gestes, et Sophie et Marc buvaient ses paroles, totalement captivés. Ils avaient déjà tourné la page.
De retour chez lui, un e-mail l'attendait. L'en-tête de l'Institut Paul Bocuse s'afficha sur son écran. "Cher Monsieur Dubois, nous avons le plaisir de vous informer que votre candidature a été acceptée..." Jean-Luc sentit une vague de soulagement le submerger. C'était réel. Son plan de fuite était en marche.
Le soir même, ses parents, inquiets de ne pas l'avoir vu au restaurant, l'appelèrent. Il fut vague, prétextant un coup de fatigue. Puis Sophie l'appela.
"On va tous boire un verre chez Paul ce soir. Antoine vient aussi. Allez, viens, ça te changera les idées." Sa voix était légère, comme si rien ne s'était passé.
"Non, merci. Je suis fatigué."
"Arrête de faire la tête, Jean-Luc. C'est ridicule. On t'attend." Elle ne demandait pas, elle ordonnait.
Pour avoir la paix, il finit par céder. Le bar était bondé et bruyant. Le groupe était déjà là, riant fort. Jean-Luc s'assit un peu à l'écart. Antoine, évidemment, était le centre de l'attention. À un moment, le serveur vint prendre les commandes.
"Je vais prendre un jus de mangue," dit Jean-Luc. Il détestait la mangue, il y était même légèrement allergique, ça lui donnait des démangeaisons.
"Oh, super idée !" s'exclama Antoine. "Un jus de mangue pour moi aussi. C'est mon fruit préféré."
Sophie sourit à Antoine. "On va tous prendre ça, alors ! Tournée de jus de mangue !"
Marc acquiesça avec enthousiasme. Personne ne remarqua le malaise de Jean-Luc. Personne ne se souvint qu'il avait toujours détesté ça. Ils étaient trop occupés à plaire au nouvel arrivant. Jean-Luc regarda le verre qu'on posa devant lui. Il sentit les premières picotements sur sa peau, une réaction psychosomatique à la simple odeur. Il se leva.
"Je rentre."
"Déjà ?" fit Marc, déçu. "La soirée ne fait que commencer."
Jean-Luc ne répondit pas. Il leur jeta un dernier regard. Sophie, Marc et Antoine. Le nouveau trio. Il était l'intrus. Il quitta le bar sans se retourner, la gorge serrée, non pas par l'allergie, mais par la confirmation douloureuse qu'il avait fait le bon choix.