Chapitre 5 Chapitre 5

La douleur la prit d'un coup, brutale, comme si son ventre se déchirait en deux. Lina tituba entre les arbres serrés de la forêt, chaque pas un combat contre le feu qui lui consumait les entrailles. Le souffle court, elle s'appuya contre un tronc rugueux, les doigts crispés dans l'écorce humide, ses yeux fermés serrés sous la pluie fine qui tombait sans pitié.

« Respire, respire... » murmura-t-elle, les lèvres tremblantes.

Une contraction plus forte la plia en deux. Elle laissa échapper un cri rauque, sauvage, défiant l'immensité silencieuse qui l'entourait. La forêt semblait retenir son souffle, l'observait impassible, alors que son corps se livrait à la plus ancienne des batailles : celle de la vie.

Le vent fit bruisser les feuilles, emportant avec lui un frisson glacé qui lui parcourut la nuque. Mais elle était seule. Seule à affronter la tempête dans son ventre, seule à défier un destin qu'elle ne comprenait pas encore.

Ses mains tremblantes fouillèrent dans son sac de toile, à la recherche d'un tissu. Elle déchira maladroitement une vieille chemise qu'elle avait conservée, tentant d'en faire une couverture pour ses enfants à venir. Chaque contraction la fauchait, mais elle refusait de s'effondrer.

Puis, dans un éclair de douleur et de lucidité, elle sut. Il fallait qu'elle se pose, qu'elle donne tout son souffle, toute sa force.

Elle s'agenouilla sur le sol humide, les larmes mêlées à la pluie, et s'abandonna à l'inévitable.

Une deuxième douleur la submergea, plus vive encore. Elle sentit une présence, une vie qui voulait naître, s'imposer, arracher au monde une promesse. Et puis un premier cri, fragile, rauque, déchirant.

- Mon bébé... murmura-t-elle, épuisée, les bras tremblants qui serraient contre elle un petit corps trempé.

Elle le regarda, ce visage minuscule, ses doigts minuscules qui cherchaient le contact, le souffle court mais vivant. Un frisson de victoire traversa son cœur meurtri.

Mais la paix fut de courte durée.

Une nouvelle contraction la cloua au sol. Elle sentit un second poids s'extraire de son ventre, plus lourd, plus lourd encore.

Le silence s'installa. Oppressant. Inquiétant.

Le second bébé ne pleurait pas. Ne respirait pas.

Lina paniqua. Son cœur battait si fort qu'elle crut qu'il allait éclater. Elle secoua doucement le petit corps inerte, appelant au secours dans un souffle brisé.

- Réveille-toi... réveille-toi...

Elle posa ses lèvres contre le visage pâle, souffla, tenta de réveiller la vie qui refusait de répondre.

Les minutes s'étiraient comme des heures. L'angoisse grandissait, dévorante.

- Non... pas maintenant... pas toi...

Elle ferma les yeux, cherchant la force dans les profondeurs de son âme, dans ce lien indéfectible qu'elle sentait pourtant grandir entre elle et ses enfants.

Puis, un souffle. Faible, presque imperceptible.

Un hoquet s'échappa du petit corps, un petit cri, un fragile battement de vie.

Les larmes de Lina coulèrent librement, se mêlant à la pluie, à la boue, à la douleur.

- Tu es là... tu es là...

Elle serra ses deux enfants contre elle, tremblante, ivre de peur et d'amour. Le monde n'existait plus, seule comptait cette naissance, ce miracle fragile au cœur de la tempête.

Elle se redressa, les muscles endoloris, et fixa les arbres autour d'elle, un serment silencieux gravé dans son regard.

- Je vais vous protéger. Je vais vous tenir en vie.

Alors que la nuit tombait, et que la forêt reprenait ses droits, Lina savait que rien ne serait plus jamais comme avant. Que sa lutte ne faisait que commencer.

Un craquement sec résonna dans les fourrés, suivi d'un souffle rapide et haletant. Maéva apparut, silhouette décharnée enveloppée d'un manteau sombre, ses yeux d'émeraude brillant d'une intensité surnaturelle. Elle se jeta aux côtés de Lina sans un mot, sa voix basse, chargée d'une force ancienne, s'éleva dans la nuit.

- Par les esprits de la terre et des ancêtres, par le souffle qui unit la meute, je réclame la vie pour cet enfant qui lutte encore.

Ses mains tracèrent des symboles invisibles dans l'air humide, des gestes précis, millénaires, transmis dans le silence des siècles. Une lumière pâle jaillit de ses paumes, enveloppant le petit corps immobile. Le temps sembla suspendu, le souffle de Lina se figea, chaque battement de cœur retenu dans une attente fébrile.

Puis, soudain, un cri déchira le voile du silence. Le bébé ouvrit les yeux, un souffle vibrant animant ses poumons fragiles. Un miracle au cœur de la nuit, arraché à la mort par la magie d'une guérisseuse oubliée.

Lina, les larmes brouillant sa vue, s'accrocha à Maéva, qui lui offrit un regard chargé de promesses et de douleurs partagées.

Plus loin, dans un bureau plongé dans la pénombre, Damien s'agita brusquement dans son sommeil. Son visage se crispa, ses mains s'agrippèrent à la couverture, comme pour retenir un fantôme invisible. Une douleur aiguë, inexplicable, traversa sa poitrine, le laissant haletant, pris d'un vertige soudain.

Il ouvrit les yeux, le souffle court, et murmura, sans savoir pourquoi.

- Ils sont nés.

Le lien, invisible mais indéniable, venait de les relier dans l'instant même de leur entrée dans le monde. Damien n'était plus un Alpha lointain, mais un père éveillé, marqué à jamais par la vie fragile de ses enfants.

                         

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