Chapitre 5

Quelques jours plus tard, contre sa volonté, Jeanne fut renvoyée au manoir Lefevre. Son père, le Roi, bien que furieux, était lié par les lois et les alliances. Un divorce royal ne se décidait pas sur un coup de tête. Il fallait des preuves, une procédure. En attendant, elle devait retourner auprès de son mari.

Madame Lefevre l'accueillit avec une sollicitude forcée. « Jeanne, mon enfant, cet accident était terrible. Antoine était hors de lui d'inquiétude... Il ne savait pas qui secourir en premier, il a paniqué. »

Jeanne l'écouta sans un mot. Les excuses et les mensonges ne l'atteignaient plus. Elle monta dans ses appartements. La première chose qu'elle remarqua fut l'absence d'Adèle. Un pressentiment glacial lui serra le cœur.

Elle n'eut pas le temps de poser de questions. Antoine entra dans la chambre. Il ne ressemblait plus à l'homme distant qu'elle connaissait. Son visage était dur, ses yeux brillaient d'une fureur froide.

« Tu as enfin décidé de nous honorer de ta présence, » dit-il, sa voix chargée de sarcasme. Il faisait tourner une perle de prière entre ses doigts, un geste lent et menaçant.

« Où est Adèle ? » demanda Jeanne directement.

Il eut un sourire cruel. « Ta chère servante ? Elle est en lieu sûr. Elle réfléchit à ses erreurs. »

La peur de Jeanne pour Adèle se mua en certitude. Il la tenait en otage.

« Tu crois que je suis stupide, Jeanne ? » continua-t-il en s'approchant d'elle. « Cet 'accident' sur le lac... Tu as poussé Sophie, n'est-ce pas ? Tu voulais la tuer. »

L'absurdité de l'accusation était telle que Jeanne ne put que le regarder, abasourdie.

« Ce n'est pas moi... »

« Alors qui ? » la coupa-t-il. « Elle est fragile, elle ne ferait jamais de mal à une mouche. C'est forcément toi. Toi et ta jalousie maladive. »

À cet instant, Jeanne vit son vrai visage. Pas le maréchal respecté, pas le fils dévoué, pas même l'amant torturé. Elle vit un monstre. Un homme dont toute la morale, toute l'humanité, était dévouée à une seule personne, et qui était prêt à tout détruire pour elle. L'image du dieu inaccessible qu'elle avait aimé se brisa pour révéler un démon.

« Sophie a failli mourir de froid, » dit-il, sa voix devenant un murmure terrifiant. « Elle a eu peur. Elle a souffert. Il est juste que tu ressentes la même chose. Œil pour œil, dent pour dent. »

Il fit un signe. Deux gardes robustes entrèrent et la saisirent par les bras. Ils la traînèrent hors de ses appartements, jusqu'aux cachots humides et sombres sous le manoir.

Antoine était déjà là, assis sur une chaise élégante, comme s'il assistait à un spectacle. Il tenait un fouet à la main.

« Sophie a eu des contusions en tombant. Et elle a attrapé un rhume qui l'a fait tousser pendant trois jours, » dit-il d'un ton conversationnel. « Je pense que dix coups de fouet seront une compensation équitable. Qu'en penses-tu ? »

Jeanne ne répondit pas. Elle fut attachée à un pilier en bois. La peur la paralysait, mais la haine la maintenait debout.

Le premier coup claqua dans l'air et s'abattit sur son dos. Une douleur fulgurante la traversa, lui arrachant un cri. Elle se mordit la lèvre jusqu'au sang pour ne pas lui donner cette satisfaction.

Alors que les coups pleuvaient, son esprit s'évada. Elle se souvint de son enfance, choyée par ses parents. De son frère Léo, qui la protégeait toujours. Personne ne l'avait jamais frappée. Personne ne lui avait jamais fait de mal. L'homme qui lui infligeait cette torture était son mari. Celui qui avait juré de la protéger.

Elle perdit le compte des coups. La douleur était une mer rouge dans laquelle elle se noyait. Juste avant de perdre connaissance, elle vit Antoine se lever. Il avait le visage impassible, mais ses jointures, serrées sur le manche du fouet, étaient blanches.

« C'est assez, » ordonna-t-il d'une voix rauque. « Faites venir un médecin. Assurez-vous qu'elle ne meure pas. »

Ce fut la dernière chose qu'elle entendit avant de sombrer dans l'obscurité. Sa cruauté était aussi méthodique que sa prétendue clémence.