Elle resta là un long moment, insensible à la pluie qui la trempait jusqu'aux os. Elle ne savait pas combien de temps s'était écoulé quand sa fidèle servante, Adèle, la trouva.
« Princesse ! Mon Dieu, que faites-vous ici ? Vous êtes glacée ! »
Adèle passa une cape sèche sur ses épaules. Jeanne ne réagit pas. Ses yeux étaient vides, fixant un point invisible dans le lointain. Elle ressemblait à une poupée de porcelaine brisée.
« Princesse, parlez-moi ! Qu'est-ce qui s'est passé ? » demanda Adèle, la voix tremblante d'inquiétude.
Jeanne ne répondit pas. Elle se laissa ramener à la calèche comme une automate. Le trajet de retour au manoir Lefevre se fit dans un silence de mort.
Lorsqu'elles arrivèrent, Antoine était dans le hall principal. Il faisait les cent pas, le visage dur et fermé. En voyant Jeanne, son expression se durcit encore plus.
« Où étais-tu ? » sa voix était glaciale. « Sophie est malade à cause de toi. Elle a de la fièvre. Sais-tu ce que tu as fait ? »
Il ne lui demanda pas pourquoi elle était trempée, ni où elle était. Il l'accusait directement, sans chercher à comprendre. Pour lui, elle était la cause de tous les maux.
Jeanne le regarda, et pour la première fois, elle ne vit pas l'homme qu'elle aimait, mais un étranger cruel. Une force nouvelle, née du désespoir, monta en elle.
« J'étais au temple, » dit-elle d'une voix rauque.
Le visage d'Antoine se crispa. « Tu nous as entendus. » Ce n'était pas une question, mais une affirmation.
« Oui, » répondit-elle simplement.
Une lueur dangereuse brilla dans ses yeux. « Si un seul mot de ce que tu as entendu sort de cette maison, je te jure, Jeanne, que non seulement ta vie sera un enfer, mais celle de ta famille aussi. Ne me pousse pas à bout. »
La menace était claire, brutale. À cet instant, le dernier fragment d'amour que Jeanne éprouvait pour lui se transforma en cendres. Un rire amer et silencieux secoua ses épaules. Elle avait tout donné pour cet homme, et en retour, il la menaçait pour protéger son amour coupable.
« Je comprends, » dit-elle, et son calme sembla le déconcerter.
Elle se tourna et monta dans ses appartements. Son esprit était clair. Elle ne pouvait plus rester ici. Elle allait demander le divorce. Elle allait quitter cet homme et cette maison qui n'avaient été qu'une prison dorée.
Elle commença à rassembler ses affaires, ou plutôt, le peu de choses qui lui appartenaient vraiment. Ses robes, ses bijoux, tout cela venait de la famille Lefevre. Elle ne voulait rien d'eux. Elle chercha alors la seule chose qui comptait vraiment pour elle : sa cithare. C'était un cadeau de sa mère, peu avant sa mort. C'était son bien le plus précieux.
Elle ne la trouva pas. Elle chercha partout dans sa chambre, son salon de musique. La cithare avait disparu.
Une anxiété grandissante la saisit. Elle appela Adèle.
« Adèle, ma cithare... Je ne la trouve plus. »
Adèle fronça les sourcils. « C'est étrange, Princesse. Je suis sûre qu'elle était dans le salon de musique ce matin. Mais... tout à l'heure, j'ai vu Mademoiselle Sophie en sortir. Elle avait l'air... contrariée. »
Le sang de Jeanne se glaça. Sophie. Bien sûr. C'était la seule explication.
Sans un mot, elle se dirigea vers les appartements de la mère d'Antoine, Madame Lefevre, la matriarche de la famille. C'était la seule personne qui pouvait l'aider à obtenir justice dans cette maison.
Madame Lefevre l'écouta avec une expression grave. Elle n'aimait pas les conflits et tenait par-dessus tout à la réputation de sa famille.
« Viens, nous allons parler à Sophie, » dit-elle finalement.
Elles se rendirent ensemble à la cour où vivait Sophie. La servante de Sophie essaya de leur barrer le passage, disant que sa maîtresse se reposait, mais Madame Lefevre l'écarta d'un geste autoritaire.
Elles entrèrent dans la chambre. Sophie était au lit, l'air pâle et faible. Mais Jeanne ne fut pas dupe. Ses yeux balayèrent la pièce et s'arrêtèrent sur un paravent dans un coin. Derrière, elle devina une forme sous une couverture. Une forme trop grande pour être un simple tas de vêtements. Et elle sentit une présence. Une présence familière et redoutable.
Antoine était là. Caché dans la chambre de sa maîtresse.