Madame Lefevre, aveuglée par l'apparente fragilité de sa fille adoptive, s'adoucit immédiatement. « Sophie, ma chérie, nous ne voulons pas te déranger. C'est juste que Jeanne ne retrouve plus sa cithare. L'as-tu vue ? »
Sophie ouvrit de grands yeux innocents. « La cithare de Jeanne ? Non, mère. Pourquoi la chercherais-je ici ? Antoine sait que je n'aime pas le bruit, il ne me laisserait jamais m'approcher d'un instrument. »
Le nom d'Antoine, prononcé avec une telle assurance, était une provocation. Elle rappelait à tout le monde, et surtout à Jeanne, qui tenait les rênes.
Jeanne sentit une vague de dégoût la submerger. Elle avait été si stupide. Elle voyait maintenant clairement le jeu de pouvoir. Madame Lefevre craignait son propre fils, cet homme puissant et imprévisible. Et Antoine, lui, était entièrement dévoué à Sophie. Dans cette maison, elle, l'épouse légitime, n'avait aucun poids.
« Je veux fouiller la pièce, » déclara Jeanne, sa voix tranchante coupant court aux jérémiades de Sophie.
« Jeanne ! » s'exclama Madame Lefevre, choquée par son audace.
« C'est mon droit, » insista Jeanne, fixant Sophie droit dans les yeux. « C'est la cithare de ma mère. Je la trouverai. »
Sentant qu'elle ne pouvait plus reculer sans perdre la face, Madame Lefevre soupira et fit un signe de tête aux servantes. « Faites ce qu'elle demande. »
Sophie se redressa dans son lit, le visage crispé par la colère. Les servantes commencèrent à fouiller, ouvrant les armoires et les coffres. Jeanne se dirigea directement vers le paravent. Elle écarta le tissu d'un geste brusque.
Là, cachée sous une pile de couvertures, se trouvait sa cithare. Mais elle n'était plus l'instrument magnifique qu'elle chérissait. Le bois était profondément rayé, balafré par des coups violents. Plusieurs cordes avaient été arrachées. C'était une vision de pure destruction.
Un cri étranglé s'échappa de la gorge de Jeanne. La douleur et la rage explosèrent en elle. Sans réfléchir, elle se retourna et traversa la pièce d'un pas rapide. Le son sec d'une gifle résonna dans le silence.
La tête de Sophie bascula sur le côté, une marque rouge vif apparaissant sur sa joue.
« Comment as-tu osé ? » siffla Jeanne, tremblante de fureur.
Sophie, après un instant de stupeur, se mit à pleurer. « Je ne sais pas de quoi tu parles ! Ce n'est pas moi ! Tu l'as mise là pour m'accuser ! »
« Tu mens ! »
C'est à ce moment que la silhouette derrière le paravent bougea. Antoine sortit de sa cachette, le visage sombre, les yeux lançant des éclairs. Il n'adressa pas un regard à la cithare brisée. Il ne vit que la joue rouge de Sophie et les larmes qui coulaient sur son visage.
« Jeanne Dubois ! Qu'est-ce que tu fais ? » tonna-t-il, sa voix glaciale résonnant dans la pièce.
Il s'avança et prit Sophie dans ses bras, la protégeant de son corps. « Tu oses la frapper ? »
Jeanne le dévisagea, le cœur glacé. « Elle a détruit la cithare de ma mère. Et tu étais là, caché, à regarder. »
« Ne dis pas de bêtises, » rétorqua-t-il froidement. « Sophie est malade. Elle n'aurait jamais fait une chose pareille. C'est toi qui l'as apportée ici pour créer des problèmes. »
L'injustice de l'accusation lui coupa le souffle. « N'oublie pas qui je suis, Antoine, » dit-elle, sa voix tremblant de rage contenue. « Je suis une princesse. Ma famille ne laisserait pas passer un tel affront. »
Il eut un petit rire méprisant. « Une cithare ? Tu fais tout ce scandale pour une simple cithare ? Tu l'accuses et la frappes pour un objet sans valeur ? »
« Sans valeur ? » répéta Jeanne, la voix brisée. « C'est la seule chose qui me restait de ma mère. Chaque gravure, chaque incrustation, je la connais par cœur. Il y a une pivoine gravée sur le côté gauche, juste là, sous la troisième corde. Et à l'intérieur, il y a une inscription que ma mère a écrite pour moi. Le sais-tu, toi ? Sais-tu ce que cet instrument représente ? »
Son regard passionné et désespéré le fit taire. Il regarda la cithare brisée, puis le visage de Sophie, et pour la première fois, une lueur d'incertitude traversa ses yeux. Il ne pouvait nier les détails qu'elle décrivait.
Il y eut un long silence. Antoine se détourna, évitant son regard.
« Je vais enquêter sur cette affaire, » dit-il finalement d'une voix sourde, avant de faire sortir tout le monde de la pièce, emmenant Sophie avec lui.
Jeanne resta seule au milieu de la chambre, le regard fixé sur les débris de son passé et de son amour. Elle savait déjà quelle serait l'issue de cette "enquête".