Sans un mot, j'ai sorti la pierre de mémoire de ma poche et je l'ai posée sur la table entre nous.
"Ceci expliquera peut-être ce que les yeux ne peuvent pas voir, Maître."
Il a froncé les sourcils, a pris la pierre et a injecté une parcelle de son énergie spirituelle à l'intérieur.
Les images ont flotté dans l'air au-dessus de la table. Le jardin secret. Marc et Lilas, s'embrassant passionnément. Leurs vœux d'amour éternel, les promesses de trahir la confrérie. Chaque mot, chaque geste était là, d'une clarté indéniable.
Le visage du Maître est passé de l'incrédulité à la fureur, puis à une profonde tristesse. Le son de leurs voix semblait profaner le sanctuaire de son bureau.
Quand l'enregistrement s'est terminé, le silence est revenu, encore plus pesant qu'avant.
Le Maître fixait les images fantômes qui s'estompaient, la main tremblante. Il a tendu la main pour prendre sa tasse de thé, mais sa prise était si forte que la porcelaine fine s'est brisée dans sa paume, envoyant des éclats et du thé chaud sur la table.
Il n'a même pas semblé le remarquer.
"Idiot," a-t-il murmuré. "Stupide garçon. J'ai échoué. En tant que Maître, en tant que mentor... j'ai échoué."
Il a baissé la tête, le poids de la déception l'écrasant. Voir cet homme, que je respectais plus que quiconque, si brisé, a ravivé une vieille douleur dans ma poitrine.
"Ce n'est pas votre faute, Maître," ai-je dit doucement. "Personne n'aurait pu prévoir cela."
"Mais cette... cette anomalie," a-t-il repris en regardant sa main ensanglantée comme s'il ne la reconnaissait pas. "Le fait qu'il ne montre aucun signe de corruption. C'est du jamais vu. Ce n'est pas une magie ordinaire. C'est quelque chose d'autre. Quelque chose de sombre et d'ancien."
Nous avons passé l'heure suivante à discuter, à émettre des hypothèses. Était-ce une forme de vampirisme spirituel inversé ? Un sortilège qui masquait la décadence ? Ou pire, une technique qui transformait la corruption en puissance ?
Aucune de nos théories ne tenait complètement la route. Nous étions face à un ennemi dont nous ne comprenions pas les règles.
Alors que le Maître pansait sa main, j'ai pris une décision. Il était temps de lui montrer ma loyauté, pas seulement en paroles, mais en actes.
J'ai sorti la petite boîte que j'avais prise dans la chambre de Marc. Je l'ai ouverte, révélant les Pilules de Condensation Spirituelle qui brillaient d'une douce lumière.
"Maître," ai-je commencé. "Je sais que vous êtes proche d'une percée depuis des années. La direction de la confrérie vous a pris trop de temps et d'énergie. Prenez-les."
Le Maître a écarquillé les yeux en voyant les pilules. Il a reconnu leur valeur immédiatement.
"Adèle... ce sont... ce sont les pilules que j'ai données à Marc. Comment... ?"
"Il les a laissées sans surveillance," ai-je répondu simplement. "Il était... distrait. Leur pouvoir sera mieux utilisé pour renforcer la confrérie à son plus haut niveau, pas pour alimenter les fantasmes d'un adolescent."
Il m'a regardée longuement, un mélange complexe d'émotions dans ses yeux. Choc, compréhension, et une lueur de fierté. Il a vu que je n'étais plus la jeune fille naïve qui admirait son frère aveuglément. J'étais devenue une stratège, prête à prendre des décisions difficiles pour le bien de tous.
Il a finalement hoché la tête, acceptant le cadeau.
"Tu as changé, Adèle."
"J'ai grandi, Maître," ai-je corrigé.
Je me suis levée, prête à partir. Sur le seuil de la porte, je me suis retournée.
"Dans ma vie passée..." je me suis interrompue. Non, je ne pouvais pas lui dire ça. Je devais reformuler.
"J'ai fait une promesse silencieuse," ai-je dit, ma voix emplie d'une conviction nouvelle. "Je protégerai la confrérie. Pas seulement des menaces extérieures, mais aussi de celles qui viennent de l'intérieur. Je ferai en sorte que l'héritage des Chevaliers de la Lumière ne soit pas anéanti par la folie d'un seul homme."
Le Maître a vu la détermination dans mes yeux. Il a compris que mon engagement était total.
"Je crois en toi, Adèle."
Ses mots étaient simples, mais ils signifiaient plus pour moi que toutes les louanges que j'avais jamais reçues.
En retournant dans ma chambre, le souvenir de ma mort m'est revenu. Le sentiment de mon âme se faisant déchirer. Mais cette fois, ce n'était pas seulement une source de douleur. C'était un rappel. Un rappel de ce que je me battais pour éviter.
J'avais sacrifié ma vie une fois pour une cause perdue. Cette fois, mon sacrifice, si nécessaire, aurait un sens. Il protégerait mon foyer, mon Maître, ma seule vraie famille. Et ce serment me donnait une force que je n'avais jamais connue.
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