Je suis descendue préparer un café, essayant d'ignorer la présence de l'oiseau. J'avais posé sur la table de la salle à manger les plans de mon projet d'entreprise, un projet sur lequel je travaillais depuis des mois. C'était mon bébé, mon jardin secret, la preuve que j'étais plus que la simple "femme de Marc Dubois".
Le téléphone a sonné. C'était ma mère. Pendant que je parlais avec elle dans la cuisine, j'ai entendu un bruit de déchirement.
Un bruit sec et répété.
Mon cœur a raté un battement. J'ai terminé rapidement la conversation et je suis retournée dans le salon.
Mon sang s'est glacé.
La porte de la cage était ouverte. Le perroquet était sur la table, en train de déchiqueter méthodiquement mes plans avec son bec. Des lambeaux de papier jonchaient le sol. Il ne se contentait pas de jouer, il détruisait. Avec une intentionnalité terrifiante.
Quand il m'a vue, il s'est arrêté. Il a levé la tête, un morceau de mon diagramme financier encore dans son bec, et il a penché la tête sur le côté. Et là, j'ai vu quelque chose qui a confirmé toutes mes craintes. Ses yeux. Ils ne brillaient pas d'une malice animale. Ils brillaient d'une intelligence moqueuse. C'était le regard de Sophie.
Je me suis approchée, tremblante de fureur.
« Sale bête ! »
Il a lâché le papier et a poussé un cri strident, un son qui m'a écorché les oreilles. Puis il a fait quelque chose d'encore plus effrayant. Il a parlé. Mais pas avec la voix d'un perroquet qui imite. Avec une intonation humaine, basse et rauque, une voix que je n'avais jamais entendue sortir d'un oiseau.
« Jeanne... stupide... »
J'ai reculé, le souffle coupé. Ce n'était pas une imitation. C'était une insulte.
Le soir, quand Marc est rentré, je l'ai confronté. Je lui ai montré les débris de mes plans, le chaos sur la table.
« Marc, regarde ce que ton oiseau a fait ! »
Il a regardé le désordre, puis le perroquet, qui s'était sagement perché dans sa cage. Son expression s'est durcie.
« Jeanne, tu as laissé la cage ouverte ? Je t'avais dit de faire attention. »
« Ce n'est pas moi ! Elle était fermée, j'en suis sûre ! Et il m'a insultée, Marc. Il a parlé. »
Marc a soupiré, un long soupir fatigué, comme s'il parlait à une enfant capricieuse. C'était sa technique. Le gaslighting. Me faire douter de ma propre santé mentale.
« Mon amour, tu es fatiguée. C'est un oiseau. Il répète ce qu'il entend. Il a dû entendre quelque chose à la télévision. Et tu sais bien qu'il ne peut pas ouvrir sa cage tout seul. Tu as dû oublier. »
Il s'est approché de moi, a essayé de me prendre dans ses bras, mais je me suis raidie.
« Ne me touche pas. Je sais ce que j'ai vu et ce que j'ai entendu. »
Chloé est arrivée à ce moment-là, entrant sans frapper comme à son habitude. Elle a vu la tension.
« Qu'est-ce qui se passe ici ? »
Marc a pris son air de mari patient et accablé.
« Jeanne est un peu stressée. Elle pense que Coco est le diable en personne. »
Chloé a eu un petit rire.
« Oh, Jeanne... Il est adorable. Tu es juste nerveuse. Tu n'as pas l'habitude d'avoir un animal. »
Elle s'est approchée de la cage, a ouvert la porte sans aucune crainte et a laissé le perroquet sauter sur son doigt.
« Tu vois ? Il est inoffensif. »
Le perroquet a frotté sa tête contre sa joue, un spectacle écœurant de complicité. Ils étaient de mèche. Tous les trois contre moi.
Le lendemain, Marc est rentré à la maison avec un grand perchoir en bois sculpté. Un perchoir magnifique et sinistre, qui ressemblait à un arbre mort. Mon cœur a sombré. C'était le même. Le même perchoir qu'ils avaient utilisé lors du rituel, dans ma première vie. C'était l'autel.
« C'est pour que Coco se sente plus à l'aise, » a-t-il annoncé fièrement.
Ils l'ont installé dans un coin du salon. Le perroquet a immédiatement volé pour s'y poser, comme s'il reconnaissait son trône.
Ce soir-là, je n'arrivais pas à dormir. Un pressentiment horrible me tenait éveillée. Je me suis levée et je suis descendue sans faire de bruit. La maison était silencieuse. J'ai passé la tête dans l'entrebâillement de la porte du bureau de Marc.
La lumière était allumée.
J'ai entendu des chuchotements. C'était Marc et Chloé.
« Est-ce que tu penses qu'elle se doute de quelque chose ? » demanda Chloé, sa voix basse et inquiète.
« Non, » répondit Marc. « Elle est juste un peu instable en ce moment. C'est parfait. Quand le moment viendra, tout le monde pensera qu'elle a eu une dépression nerveuse. Personne ne remettra en question sa... disparition. »
Mon sang se transforma en glace dans mes veines.
« Le collier est presque prêt, » continua Marc. « Le sorcier a dit que pour le troisième anniversaire, l'alignement serait parfait. L'âme de Sophie est forte dans le perroquet. Le transfert sera facile. Il suffira de lui faire porter le collier, de la placer près du perchoir avec le perroquet, et de réciter l'incantation. Son corps sera à nous. À Sophie. »
Chloé a gloussé. Un son horrible.
« Et sa fortune aussi. Les parents de Jeanne ne laisseront jamais leur "pauvre fille malade" gérer l'entreprise. Toi, son mari dévoué, tu prendras le contrôle. »
« Exactement. Et enfin, je pourrai ramener Léo à la maison. Notre fils. Il aura la mère qu'il mérite. »
Léo. Leur enfant caché. Le fils que Sophie avait eu avant de mourir en couches. Tout était vrai. Chaque parcelle de mon cauchemar était la réalité.
Je me suis retirée dans l'ombre du couloir, le cœur battant à tout rompre, non pas de peur, mais d'une rage froide et pure. J'avais tout entendu. Je connaissais leur plan dans les moindres détails.
La femme naïve qu'ils pensaient manipuler était partie pour de bon.
Ils voulaient une guerre ? Ils allaient l'avoir. Mais cette fois, c'est moi qui fixerais les règles.
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