Adieu, Doux Mirages
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Chapitre 1

Je me souviens de l'obscurité, du froid qui pénétrait mes os, même si je n'avais plus d'os.

Je me souviens de la cage.

De barreaux en métal froid que je picorais sans cesse, un geste insensé et répétitif.

Et je me souviens de sa voix, celle de Marc, mon mari, murmurant des mots doux non pas à moi, mais à mon corps. Un corps qui bougeait, qui respirait, mais dont les yeux n'étaient plus les miens.

« Sophie, mon amour, encore un peu de patience. Bientôt, tout sera parfait. Notre famille sera enfin réunie. »

Sophie. L'esprit de son amour de jeunesse décédée, piégé dans ce perroquet. Et moi, Jeanne, j'étais l'esprit piégé dans le vide, observant ma propre vie m'être volée.

Ce jour-là, pour notre troisième anniversaire de mariage, ils avaient réussi. Marc, et sa sœur Chloé, ma meilleure amie. Ils avaient échangé nos âmes. J'étais devenue le perroquet, et Sophie avait pris ma place.

Leur plan était simple : me tuer, moi, le perroquet, pour se débarrasser de la dernière trace de Jeanne Dubois.

Le souvenir de la main de Chloé, celle qui m'avait si souvent serrée dans ses bras en me jurant une amitié éternelle, s'approchant pour tordre le cou de l'oiseau que j'étais devenue... Cette image était gravée en moi.

Puis, une lumière aveuglante. Une douleur fulgurante.

Et le silence.

Je clignai des yeux. La lumière du soleil filtrait à travers les rideaux de notre chambre. Ma chambre. Je sentis la douceur des draps en soie contre ma peau. Ma peau. Je levai une main, la regardai, la tournai. C'était bien la mienne, avec la petite cicatrice sur l'index que je m'étais faite en cuisinant pour lui.

Une panique glaciale me saisit. J'attrapai mon téléphone sur la table de chevet. L'écran s'alluma.

La date.

C'était le jour de notre premier anniversaire de mariage. Le jour où tout avait commencé. Le jour où il m'avait offert le perroquet.

J'avais remonté le temps. J'avais une seconde chance.

La porte de la chambre s'ouvrit doucement. Marc entra, un plateau à la main. Il portait ce sourire charmeur qui m'avait fait tomber amoureuse, un sourire qui aujourd'hui me donnait la nausée.

« Bonjour, mon amour. Joyeux anniversaire. »

Il posa le plateau sur le lit. Des croissants, du jus d'orange fraîchement pressé, une rose rouge dans un petit vase. La même scène. Exactement la même.

« J'ai une surprise pour toi. »

Mon cœur se serra. Je savais ce qui allait venir. Je devais jouer le jeu, faire semblant.

« Oh, Marc, tu n'aurais pas dû. » ma voix tremblait légèrement.

Il s'assit à côté de moi, son regard brillant d'une fausse tendresse.

« Pour ma femme merveilleuse, je ferais n'importe quoi. Attends-moi ici. »

Il sortit de la chambre. J'entendis sa voix dans le couloir, mêlée à celle de Chloé. Ils chuchotaient, excités. Les complices.

Quelques instants plus tard, ils revinrent. Marc tenait dans ses mains une grande cage recouverte d'un drap. Chloé le suivait, un sourire jusqu'aux oreilles, l'incarnation de la fausse amie parfaite.

« Jeanne, prépare-toi ! » lança-t-elle d'un ton enjoué.

Marc posa la cage sur le sol et retira le drap d'un geste théâtral.

À l'intérieur, un grand perroquet gris aux plumes lisses me fixait de ses petits yeux noirs et brillants. Sophie.

Mon estomac se noua. Un frisson de dégoût pur parcourut mon corps. Je me souvenais de ces yeux. C'étaient les derniers que j'avais vus avant que mon âme ne soit arrachée de mon corps.

« Un perroquet ! » m'exclamai-je, forçant un ton de surprise joyeuse.

« Il s'appelle Coco. » dit Marc. « Je sais que nous ne pouvons pas avoir d'enfants, alors j'ai pensé... il pourrait être notre petit compagnon. Le symbole de notre foyer. »

Le mensonge. Le putain de mensonge. Il se prétendait stérile par choix pour me rassurer de ma propre infertilité supposée. Un autre de ses stratagèmes pour me garder sous son contrôle.

« Ouvre la cage, Jeanne, » dit Chloé, me poussant doucement. « Fais connaissance. »

Mon corps tout entier hurlait non. Je ne voulais pas toucher cette chose. Je savais ce qu'elle contenait.

Je me levai lentement, m'approchai de la cage. Mes mains tremblaient. J'hésitai, puis j'ouvris le petit loquet.

Le perroquet sortit la tête, puis sauta sur le rebord de la porte ouverte. Il pencha la tête, me regardant avec une intelligence qui n'avait rien d'animal.

Et soudain, il s'envola.

Pas pour explorer la pièce, non. Droit sur moi.

Je poussai un cri, reculant instinctivement. L'oiseau battit des ailes furieusement devant mon visage, ses griffes acérées tentant de s'agripper à mes cheveux, son bec claquant à quelques centimètres de mes yeux. C'était une attaque. Délibérée et vicieuse.

Je tombai en arrière sur le lit, me protégeant le visage avec mes bras.

« Marc ! »

Marc se précipita, mais pas pour m'aider. Il attrapa délicatement le perroquet.

« Coco ! Doucement, doucement... Ça va, mon beau. Elle ne te fera pas de mal. »

Il caressait les plumes de l'oiseau, le calmant avec des mots doux, son regard fixé sur l'animal, ignorant totalement ma panique et ma peur. Il ne m'a même pas jeté un regard.

Chloé s'approcha, mais son visage n'exprimait aucune inquiétude pour moi. Juste de l'agacement.

« Jeanne, qu'est-ce qui t'a pris ? Tu l'as effrayé. »

Elle me regardait comme si j'étais la coupable. Comme si j'avais provoqué cette attaque.

« Il m'a attaquée ! » dis-je, la voix étranglée par le choc.

« Mais non, il voulait juste jouer. C'est un bébé. » répondit Chloé sur un ton condescendant, tout en tendant la main pour caresser la tête du perroquet que Marc tenait. « Pauvre petit Coco, tu as eu peur de ta nouvelle maman ? »

Je les regardais tous les deux, blottis autour de cet oiseau maléfique. Ils le protégeaient, le rassuraient. Moi, j'étais par terre, tremblante, et ils s'en fichaient complètement.

Dans leurs yeux, je n'étais déjà plus rien. Juste une enveloppe. Un futur réceptacle.

La naïveté de ma vie passée s'était évaporée. La femme amoureuse et dévouée était morte dans cette cage. Ce qui restait était une coquille de glace remplie d'une seule chose : la certitude de ce qu'ils allaient me faire et la promesse silencieuse que cette fois, je ne les laisserais pas gagner.

Je me relevai, lissant ma chemise de nuit, le visage vide de toute expression.

« Vous avez raison, » dis-je d'une voix calme qui les surprit. « J'ai dû le surprendre. Je suis désolée. »

Marc me sourit, soulagé.

« Je savais que tu comprendrais, mon amour. »

Il ne comprenait rien. Il ne savait pas que la femme qu'il regardait n'était plus la marionnette qu'il pensait contrôler.

C'était sa Némésis. Et sa fin venait de commencer.

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