Je suis tombée, encore et encore, le ciel de Paris tournoyant au-dessus de moi. C'était le jour de mon anniversaire. Un cadeau macabre de la part de mon propre frère, aveuglé par son amour pour notre sœur adoptive, Sophie Moreau.
Je me suis réveillée en sursaut, le cœur battant à tout rompre dans ma poitrine.
Je transpirais, mes draps étaient collés à ma peau.
La lumière du matin filtrait à travers les rideaux de ma chambre. Tout était exactement comme avant. Le même papier peint, la même odeur de lavande.
J'ai attrapé mon téléphone sur la table de chevet.
La date affichée à l'écran m'a glacé le sang.
C'était le jour de l'accident de ma mère. Le jour où tout a commencé. Le jour où ma vie a basculé dans un cauchemar qui s'est terminé par ma propre mort.
Je suis revenue. J'ai eu une seconde chance.
Une rage froide a remplacé la panique. Cette fois, les choses seraient différentes. Je ne serais plus la Jeanne douce et vulnérable, celle qui se laissait manipuler.
Le téléphone a sonné, sonnant comme le glas. C'était l'hôpital.
Je savais ce qu'ils allaient dire.
« Mademoiselle Dubois ? Votre mère, Marie Dubois, a eu un grave accident de voiture. »
La voix à l'autre bout du fil était pleine d'une compassion professionnelle, mais pour moi, c'était le début du compte à rebours.
Je suis arrivée à l'hôpital en un temps record. La vision de ma mère, allongée sur ce lit, intubée et inconsciente, m'a frappée de plein fouet.
Elle était si forte, si pleine de vie. La voir ainsi, fragile et brisée, a ravivé la flamme de ma détermination.
Un médecin est venu me parler.
« L'état de votre mère est critique. Elle a perdu beaucoup de sang et son groupe sanguin est extrêmement rare. AB négatif avec un phénotype particulier. Nous n'avons pas de réserves suffisantes. »
Dans ma vie précédente, j'avais paniqué. J'avais immédiatement appelé Paul, le suppliant de faire venir Sophie. Sophie, la seule autre personne que nous connaissions avec ce groupe sanguin. Sophie, qui avait utilisé ce don de sang comme une arme pour nous détruire.
Cette fois, je ne ferais pas la même erreur.
Je suis restée calme, mon esprit tournant à plein régime.
J'ai regardé le médecin droit dans les yeux.
« Je comprends. Quelles sont les options ? »
« Nous avons lancé un appel dans notre réseau hospitalier, mais c'est une course contre la montre. »
J'ai hoché la tête.
« Je vais lancer un appel de mon côté. Sur les réseaux sociaux. »
Dans ma vie précédente, cette idée ne m'avait même pas effleuré l'esprit. J'avais fait confiance à ma famille. Quelle idiote j'avais été.
Cette nouvelle Jeanne, celle qui avait connu la mort, était différente. La vulnérabilité avait laissé place à une détermination de fer. Je n'étais plus la petite sœur qui cherchait l'approbation de son frère. J'étais une guerrière qui se battait pour la vie de sa mère.
Je savais ce que je devais faire. Je savais ce que je devais éviter.
J'ai sorti mon téléphone, mes doigts tremblants légèrement, non pas de peur, mais de colère anticipée.
J'ai composé le numéro de Paul. Pas pour demander de l'aide, mais pour le sonder. Pour confirmer que rien n'avait changé en lui.
Il a répondu après plusieurs sonneries, sa voix pleine d'impatience.
« Jeanne ? Qu'est-ce qu'il y a ? Je suis en pleine préparation pour le nouveau dessert signature. »
Sa pâtisserie passait avant tout. Avant même notre mère.
Ma voix était plate, dénuée de l'hystérie de ma vie antérieure.
« Maman a eu un accident. Elle est à l'hôpital, dans un état critique. Elle a besoin d'une transfusion sanguine. Son groupe est rare. »
Il y a eu un silence. Je pouvais presque l'entendre soupirer, agacé d'être dérangé.
« Encore tes drames, Jeanne ? Maman est forte, elle va s'en sortir. Tu paniques toujours pour rien. »
Les mêmes mots. La même indifférence.
Mon cœur s'est serré, non pas de tristesse, mais de confirmation. Il était bien l'homme qui me pousserait d'une tour.
« Paul, c'est sérieux. »
« Écoute, j'appellerai Sophie. Elle est en dégustation de vin, je ne veux pas la déranger pour une de tes crises d'angoisse. Laisse-moi gérer. Arrête de t'inquiéter. »
Il a raccroché avant que je puisse dire un mot de plus.
« Laisse-moi gérer. » Ces mots résonnaient comme une condamnation. Dans ma vie précédente, ils avaient conduit au faux suicide de Sophie, à ma dépression et à ma mort.
Cette fois, je ne le laisserai pas gérer.
Je me suis tournée vers la fenêtre, regardant la ville s'agiter en contrebas.
« C'est moi qui gère maintenant, Paul. » ai-je murmuré.
Et je n'aurai aucune pitié.