Chloé, au lieu de répondre, poussa un cri strident.
« Au secours ! Elle m'attaque ! »
Elle se laissa tomber au sol, feignant d'avoir été poussée, et se mit à pleurer bruyamment.
La porte de la terrasse s'ouvrit en grand. Marc et les deux investisseurs se précipitèrent dehors, attirés par le bruit. Ils découvrirent une scène confuse : Hélène à genoux au milieu de papiers détrempés, et Chloé en larmes par terre, quelques mètres plus loin.
« Chloé ! Qu'est-ce qui s'est passé ? » s'écria Marc en se ruant à ses côtés, ignorant complètement Hélène.
« C'est Hélène ! » geignit Chloé, pointant un doigt accusateur. « Elle est devenue folle ! Elle n'a pas supporté que je regarde le carnet de son père, elle m'a sauté dessus ! Elle m'a poussée ! »
C'était un mensonge si énorme, si éhonté, qu'Hélène en resta sans voix.
Les deux investisseurs regardaient Hélène avec méfiance et dégoût. L'un d'eux secoua la tête.
« Une femme instable, » murmura-t-il à son collègue. « C'est mauvais pour les affaires. »
Marc se releva, le visage déformé par la colère. Il se planta devant Hélène, qui était toujours à genoux, tremblante.
« Qu'est-ce qui t'a pris ? » hurla-t-il. « Tu as tout fichu en l'air ! On était sur le point de signer ! Comment as-tu pu attaquer Chloé comme ça ? Devant tout le monde ! »
Il ne lui laissa même pas le temps de répondre. Il ne lui posa même pas la question. Il l'avait déjà jugée, déjà condamnée. Son amie d'enfance contre sa fiancée. Le choix était fait.
Hélène le regarda, le regarda vraiment, peut-être pour la première fois depuis longtemps. Elle ne vit pas l'homme qu'elle avait aimé. Elle vit un étranger. Un homme faible, aveuglé par son ambition, prêt à croire n'importe quel mensonge qui l'arrangeait.
Une immense lassitude l'envahit, chassant la colère et la peine. Elle ne dit rien. À quoi bon ? Les mots seraient inutiles. Sa culpabilité était déjà scellée dans l'esprit de Marc. Son silence était sa seule dignité restante.
Elle se releva lentement, brossant la poussière de sa robe. Elle jeta un dernier regard aux fragments de son passé qui flottaient tristement dans la fontaine. Puis elle regarda Marc, qui aidait Chloé à se relever, la tenant avec une tendresse qu'il ne lui avait plus montrée depuis des années.
« Je suis désolé, messieurs, » dit Marc aux investisseurs, la voix mielleuse. « Un petit incident domestique. Chloé est très sensible, et Hélène est... sous pression en ce moment. »
Il essayait de sauver les apparences, de minimiser les dégâts pour sa propre carrière.
Chloé, se cachant derrière l'épaule de Marc, lança un regard triomphant à Hélène. Elle avait gagné.
Marc se tourna une dernière fois vers Hélène, son visage dur comme la pierre.
« Rentre à la maison. Et attends-moi. On aura une sérieuse discussion. »
C'était un ordre. Pas une demande. Un ordre donné à une subordonnée, à une enfant désobéissante.
Hélène eut un petit rire intérieur, un rire amer et silencieux. "Attends-moi". Il pensait vraiment qu'elle allait l'attendre. Il pensait vraiment qu'après ça, il y avait encore un "nous".
Elle hocha simplement la tête, une lueur indéchiffrable dans les yeux.
« D'accord, » dit-elle doucement.
Elle se retourna et quitta la terrasse sans un autre mot, traversant le restaurant la tête haute, sous les regards curieux des autres clients. Chaque pas laéloignait de cette vie, de cet homme. Chaque pas la rapprochait de la liberté.
Dans le taxi qui la ramenait à l'appartement qu'ils partageaient, elle ne pleura pas. Elle se sentait étrangement vide. Et au milieu de ce vide, une certitude absolue. Il n'y aurait pas de discussion. Il n'y aurait plus rien. Elle était déjà partie. Il ne le savait juste pas encore.