Il sentit son regard insistant dans son dos. Il pouvait deviner sa confusion, son agacement. Elle était habituée à être le centre de son univers. Son indifférence devait être plus déstabilisante que n'importe quelle crise de colère.
Plus tard dans l'après-midi, elle entra dans sa chambre sans frapper.
"Qu'est-ce que tu mijotes encore, Pierre ?" demanda-t-elle, les bras croisés. "Ce silence, cette indifférence... C'est une nouvelle stratégie pour me faire sentir coupable ?"
Pierre la regarda, une immense lassitude dans les yeux. "Non, Sophie. Il n'y a pas de stratégie. Je suis juste fatigué de ce jeu. Tu as gagné. Tu as tout ce que tu voulais. Marc, ta liberté... Laisse-moi juste en paix."
"Je ne te crois pas. Tu as toujours été obsédé par moi."
"J'étais. Mais les gens changent. Surtout quand on tue leur chien."
La mention de Pinceau la fit tressaillir, mais elle se reprit rapidement. "C'était un accident."
"Peu importe comment tu l'appelles. C'est fini."
À ce moment-là, le fleuriste de l'hôpital entra dans la chambre, portant un énorme bouquet de roses bleues, les fleurs préférées de Sophie.
"Livraison pour Monsieur Dubois," dit l'homme joyeusement. "J'ai aussi un message. Une réservation pour ce soir au 'Ciel Étoilé', pour fêter votre anniversaire de rencontre."
Pierre avait complètement oublié. Il avait commandé ça des semaines plus tôt, avant sa "renaissance".
Le visage de Sophie se crispa. C'était la preuve dont elle avait besoin pour confirmer sa théorie. Tout cela n'était qu'une comédie.
"Pathétique," cracha-t-elle. Elle s'avança, arracha le bouquet des mains du fleuriste, le jeta au sol et piétina les fleurs avec ses talons aiguilles. "N'essaie plus jamais, Pierre. Jamais."
Elle se tourna pour partir, s'arrêtant sur le seuil. "J'espère que tu as compris le message."
Une fois qu'elle fut partie, Pierre regarda les fleurs écrasées sur le sol. Il n'y avait plus de douleur, plus de tristesse. Seulement un vide froid. Il appela l'infirmière.
"S'il vous plaît, pourriez-vous faire nettoyer ça ?" dit-il d'une voix calme. "Et annulez la réservation au 'Ciel Étoilé'. Annulez-la définitivement."
Le jour de sa sortie, son premier arrêt fut le vétérinaire. Il récupéra les cendres de Pinceau dans une petite urne en bois. Il serra l'urne contre sa poitrine, et pour la première fois depuis des jours, il se laissa pleurer. Des larmes silencieuses et amères pour le seul être qui l'avait aimé inconditionnellement.
Il se rendit sur une falaise surplombant l'océan, un endroit où il aimait venir avec Pinceau. Il se souvint des courses folles sur la plage, du bruit des vagues, de la chaleur du soleil. Pinceau était plus qu'un chien. Il était le symbole de son innocence, de la partie de lui qui pouvait encore aimer et faire confiance.
Maintenant, cette partie était morte et réduite en cendres.
Il dispersa les cendres dans le vent, les regardant se mêler à l'écume des vagues.
"Adieu, mon ami," murmura-t-il.
Avec la mort de Pinceau, il n'y avait plus rien qui le retenait ici. Plus de souvenirs heureux à préserver. Juste les ruines d'une vie qu'il était déterminé à laisser derrière lui.