Camille l'esquiva et prit les fleurs. "Elles sont jolies," dit-elle d'un ton plat, avant d'aller les mettre dans un vase sans même le regarder. L'ancienne Camille aurait fondu, pardonnant tout pour un bouquet et quelques mots doux. La nouvelle Camille voyait clair dans son jeu. Le bouquet n'était pas un signe d'amour, c'était un pansement pour sa propre conscience.
Le malaise s'installa entre eux. Camille était devenue distante, froide. Elle répondait à ses questions par des monosyllabes, évitait son contact. Marc, habitué à son adoration inconditionnelle, commença à s'irriter de son comportement. Il ne cherchait pas à comprendre la cause de son changement, il le voyait comme un reproche, une entrave à sa liberté.
Quelques jours plus tard, il lui annonça de nouveau qu'il avait un "dîner d'affaires". Camille ne dit rien. Elle se contenta de hocher la tête. Elle savait qu'il allait retrouver Chloé. Cette fois, elle ne resta pas à la maison à l'attendre. Elle appela Alexandre.
"Es-tu libre ce soir ?" demanda-t-elle.
Alexandre Moreau était son ami d'enfance. Un architecte talentueux comme elle, mais plus discret, plus réfléchi. Il avait toujours été là pour elle, un soutien silencieux et loyal. Elle savait, au fond d'elle, qu'il avait toujours eu des sentiments pour elle, mais il avait respecté son choix d'épouser Marc. Le recontacter après son "retour" avait été une évidence. Il était la seule personne en qui elle pouvait avoir une confiance absolue.
Ils se retrouvèrent dans un petit bistrot du centre-ville. C'était facile et naturel de parler avec lui. Elle ne lui révéla pas son incroyable secret sur le voyage dans le temps, mais elle lui confia ses doutes sur Marc.
"Je crois qu'il me trompe," dit-elle simplement.
Alexandre ne parut pas surpris. "Je ne l'ai jamais aimé, Camille. Je l'ai toujours trouvé... faux."
Son soutien sans faille lui fit un bien immense. Pour la première fois depuis son retour, elle se sentit moins seule.
Pendant ce temps, la frustration de Marc grandissait. Un soir, alors qu'elle lisait dans le salon, il rentra, visiblement énervé. Il claqua la porte.
"Qu'est-ce que tu as en ce moment ? Tu me fais la tête depuis des semaines !" lança-t-il agressivement.
"Je n'ai rien," répondit-elle calmement sans lever les yeux de son livre.
Son calme l'exaspéra encore plus. Il s'approcha et lui arracha le livre des mains avant de le jeter par terre. "Arrête de faire l'innocente ! Parle-moi !"
Le geste la choqua. Marc n'avait jamais été violent avec elle. Impatient, égoïste, oui. Mais jamais violent. Un souvenir enfoui remonta à la surface. Une dispute, des années auparavant, avant leur mariage. Il avait frappé son poing contre un mur, furieux. Elle avait eu peur, mais il s'était immédiatement excusé, et elle avait mis ça sur le compte du stress. Elle réalisait maintenant que la violence était déjà là, latente, sous le vernis du charmeur.
"Ramasse ce livre," dit-elle d'une voix glaciale.
Surpris par sa fermeté, il la dévisagea un instant, puis se radoucit, changeant de tactique. "Écoute, je suis désolé. Je suis stressé en ce moment. Le travail, tout ça..."
Mais Camille ne l'écoutait plus. Elle avait vu une autre facette de lui, une facette dangereuse. Le plan qu'elle avait commencé à échafauder dans son esprit devint plus urgent. Elle devait partir.
L'humiliation finale eut lieu quelques semaines plus tard, lors de l'anniversaire de sa propre mère. La fête avait lieu dans le grand jardin de la maison familiale. Marc avait promis d'être là, d'être le gendre parfait. Mais il passa toute la soirée au téléphone, s'isolant dans un coin, le dos tourné à la fête. Camille le voyait chuchoter, rire doucement. Il parlait à Chloé, c'était une évidence. Il la négligeait non seulement elle, mais aussi sa famille, le jour de l'anniversaire de sa mère.
La mère de Camille, une femme pragmatique et observatrice, s'approcha de sa fille. "Il ne changera jamais, tu sais."
Ce n'était pas une question, c'était un constat. Mme Dubois n'avait jamais été dupe du charme de Marc. Elle avait vu sa fille se perdre dans cet amour à sens unique.
Plus tard dans la soirée, alors que tout le monde chantait "Joyeux anniversaire" autour du gâteau, Marc était toujours au téléphone. Camille se sentit complètement seule, humiliée devant toute sa famille et ses amis. Quand il revint enfin, il se pencha vers elle et lui chuchota à l'oreille, non pas pour s'excuser, mais pour se plaindre.
"Chloé a des problèmes de voiture, je dois aller l'aider. Je ne serai pas long."
Le nom prononcé à voix basse, comme un secret coupable, fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Il allait la quitter, le soir de l'anniversaire de sa mère, pour aller dépanner sa maîtresse. La colère et la douleur explosèrent en elle. Elle se leva, renversa sa coupe de champagne sur la table, et quitta le jardin sans un mot, sous le regard médusé des invités. Elle marcha jusqu'à sa voiture, les larmes brouillant sa vue. Ce n'était plus de la tristesse, c'était une rage pure. Il avait détruit sa dignité, foulé aux pieds son amour et son respect. Assise dans sa voiture, tremblante, elle prit une décision irrévocable. Il n'y aurait pas de retour en arrière. La vengeance ne suffisait plus. Elle voulait sa destruction.