Comme prévu, à peine arrivés, Marc la laissa seule avec une coupe de champagne à la main. "Je vais juste saluer quelques personnes, mon amour. Je reviens tout de suite." Elle le regarda s'éloigner, se fondant dans la foule avec une aisance déconcertante, distribuant des sourires et des poignées de main. Il ne revint jamais. Elle passa la première heure à errer seule, hochant la tête poliment aux invités de ses parents, se sentant de plus en plus invisible et humiliée. L'ancienne Camille aurait été triste, se sentant abandonnée. La nouvelle Camille était furieuse. C'était une confirmation de plus de son égoïsme.
Elle décida de le chercher. Elle le trouva finalement dans un coin reculé du jardin, à l'abri des regards. Et il n'était pas seul. Une jeune femme blonde et souriante se tenait très près de lui. Chloé Leclerc. Camille la reconnut immédiatement. C'était la femme des messages, la femme qu'il embrasserait vingt ans plus tard dans la neige. La voir là, si jeune et déjà si sûre d'elle, lui donna la nausée. Ils ne s'embrassaient pas, mais leur langage corporel était sans équivoque. La façon dont il se penchait vers elle, dont sa main effleurait son bras en riant, la complicité dans leurs regards. C'était une scène intime, volée.
Camille sentit une douleur sourde dans sa poitrine. Même en sachant la vérité, voir la trahison de ses propres yeux était une épreuve. Elle se cacha derrière un pilier, le cœur battant à tout rompre. Elle les observa pendant de longues minutes. Elle vit Marc lui glisser discrètement un papier dans la main. Un numéro de téléphone ? Une adresse ? Peu importe. C'était la preuve flagrante de sa duplicité. Elle se sentit stupide. Comment avait-elle pu être si aveugle à l'époque ? L'amour l'avait rendue sourde et muette à tous les signaux d'alarme.
Elle ne les confronta pas. Ce n'était pas le moment. Elle retourna silencieusement à l'intérieur, le visage impassible. Quand Marc la rejoignit enfin, une heure plus tard, il avait l'air parfaitement détendu.
"Désolé, j'ai été retenu par M. Durand, il ne voulait plus me lâcher," mentit-il sans ciller.
"Ce n'est pas grave," répondit-elle d'une voix neutre. "Je suis un peu fatiguée. On peut rentrer ?"
Sur le chemin du retour, il était volubile, racontant ses conversations, se vantant des contacts qu'il avait noués. Camille ne disait rien, regardant le paysage défiler par la fenêtre. La haine en elle était un feu froid et silencieux.
Cette nuit-là, il ne rentra pas. Vers deux heures du matin, son téléphone sonna. Camille décrocha. C'était lui.
"Chérie, je suis désolé, la discussion avec les investisseurs s'est prolongée. On a fini par aller boire un verre. Je pense que je vais dormir à l'hôtel, c'est plus simple. Je ne veux pas te réveiller en rentrant."
C'était le même mensonge, la même excuse qu'il lui avait servie tant de fois dans le passé. Mais cette fois, elle entendit quelque chose en arrière-plan. Une voix de femme qui riait. Une voix qu'elle reconnut. Chloé.
"D'accord," dit-elle, sa voix tremblante de rage contenue. "Fais attention."
Elle raccrocha et jeta le téléphone sur le lit. C'en était trop. Les larmes qu'elle avait retenues toute la soirée se mirent à couler. Des larmes de rage, de dégoût, de chagrin. Elle se laissa tomber sur le sol, le corps secoué de sanglots. Tout son passé heureux était un mensonge. Chaque "je t'aime", chaque promesse, chaque regard tendre était souillé. Il lui avait dit un jour, alors qu'ils planifiaient leur avenir, qu'il ne pourrait jamais vivre sans elle, qu'il mourrait si quelque chose lui arrivait. Quelle ironie. Il avait choisi de "mourir" pour la quitter.
Alors qu'elle pleurait dans le silence de la grande maison vide, une idée folle et terrible commença à germer dans son esprit. Une idée née de la douleur et du désir de vengeance. Il voulait disparaître ? Il voulait simuler sa mort pour être avec sa maîtresse ? Très bien. Elle allait l'aider. Mais pas comme il l'imaginait. Elle allait orchestrer une disparition, mais ce serait la sienne. Elle allait le laisser croire qu'il l'avait perdue, qu'il était responsable. Elle allait lui faire porter le poids de sa "mort" comme elle avait porté le poids de la sienne. Elle allait lui faire ressentir la même douleur, le même vide, le même désespoir. Elle sécha ses larmes. La tristesse avait laissé place à une résolution glaciale. Le jeu venait de commencer. Et cette fois, c'est elle qui en fixerait les règles.