Le mas était encore plus délabré que dans mes souvenirs. Le toit était percé, les volets pendaient, et les mauvaises herbes avaient envahi le jardin.
Mes amis d'université, Mathieu et Lucas, sont venus m'aider. Quand ils ont vu l'état de la maison, ils ont sifflé.
« Mec, tu as du pain sur la planche, » a dit Lucas.
« C'est mieux qu'un bureau à Paris, » ai-je répondu en souriant.
Nous avons commencé par le toit. C'était un travail épuisant, mais chaque tuile que je posais, chaque poutre que je remplaçais, me donnait un sentiment de satisfaction immense. Je reconstruisais ma maison, et je me reconstruisais moi-même.
Un soir, épuisé mais heureux, j'ai allumé un feu dans la vieille cheminée. J'ai pris des légumes du potager que j'avais commencé à nettoyer : des tomates, des courgettes, des aubergines, des poivrons.
J'ai préparé une ratatouille. La vraie, celle de ma grand-mère. L'odeur a rempli la pièce. C'était l'odeur de mon enfance.
Mathieu a eu une idée.
« Tu devrais filmer ça. Les gens adorent voir ça. La rénovation, la cuisine authentique... »
J'ai hésité. Me montrer ? Après des années à vivre dans l'ombre ?
« Pourquoi pas ? » a dit Lucas. « Tu n'as plus rien à cacher. Montre-leur qui tu es vraiment. »
J'ai sorti mon vieux téléphone et j'ai commencé à filmer. La réparation du mur en pierre sèche, la taille des oliviers, la préparation d'une daube provençale qui mijotait pendant des heures.
J'ai créé une chaîne YouTube et un compte Instagram. Je les ai appelés « Le Cœur de la Provence ».
Je ne parlais pas beaucoup. Je montrais juste mes mains qui travaillaient la terre, qui coupaient les légumes, qui pétrissaient le pain. Je montrais le soleil de Provence, le son des cigales.
Au début, j'avais quelques dizaines de vues. Puis une centaine. Puis un millier.
Les commentaires ont commencé à affluer.
« Votre cuisine a l'air si réconfortante. »
« Merci de partager ce savoir-faire. »
« On sent l'amour dans ce que vous faites. »
En quelques mois, ma chaîne a explosé. J'ai atteint 100 000 abonnés. Puis 200 000. L'argent a commencé à arriver, plus que ce que je n'avais jamais gagné dans mon travail de bureau. Des marques de produits alimentaires m'ont contacté. L'office de tourisme de la région voulait collaborer.
J'étais redevenu moi-même. Julien, le cuisinier. Pas le mari de Chloé.
Un soir, alors que je répondais aux commentaires, un numéro inconnu m'a appelé. J'ai décroché.
« Allô ? »
C'était la voix de Chloé.
« Julien ? C'est moi. »
Je suis resté silencieux.
« Sophie veut une crème brûlée. Celle que tu faisais. Je... je ne sais pas comment la faire. Tu peux me donner la recette ? »
Sa voix était hésitante. C'était la première fois que je l'entendais comme ça.
J'ai ressenti une vieille colère monter en moi. Pendant sept ans, elle n'avait jamais montré le moindre intérêt pour ma cuisine, sauf pour s'en vanter auprès de ses amies.
« Non, » ai-je dit froidement.
« S'il te plaît, Julien. C'est pour Sophie. »
« Cherche sur Google. Il y a des milliers de recettes. »
J'ai raccroché et j'ai immédiatement bloqué ce numéro. Je ne voulais plus jamais entendre sa voix.