Avant que je puisse réagir, Roderick est entré en trombe, le visage déformé par la fureur. Il m'a attrapée par le bras sans un mot et m'a traînée de force jusqu'à la chambre d'Éléonore.
Elle était allongée dans son lit, le visage pâle, l'air faible. Un médecin se tenait à son chevet.
« Roderick, » a-t-il dit d'une voix grave, « la situation est critique. Le poison est rare et puissant. Le seul antidote est une transfusion sanguine immédiate. Mais le groupe sanguin d'Éléonore est extrêmement rare. Nous avons besoin d'un donneur compatible de toute urgence. »
Roderick s'est tourné vers moi, ses yeux brillant d'une lueur froide et accusatrice. « Elle est compatible. Je le sais. »
Comment pouvait-il le savoir ? Mon dossier médical était en Provence. Puis j'ai compris. Alex... quand j'avais été malade, il avait dû s'enquérir de mon groupe sanguin auprès du médecin du village. Et il s'en souvenait.
« Non, » ai-je dit, reculant. « C'est un mensonge. Je ne lui ai rien donné. »
« Ça n'a pas d'importance ! » a-t-il crié. « Elle est en train de mourir ! Tu vas lui donner ton sang ! »
« Je refuse. »
Ma voix était ferme, malgré la peur qui me nouait l'estomac.
Roderick a fait un signe à deux gardes du corps qui se tenaient près de la porte. « Tenez-la. »
Ils m'ont saisie brutalement. Je me suis débattue, mais ils étaient trop forts.
« Roderick, tu ne peux pas faire ça ! » ai-je crié, désespérée.
Il s'est approché de moi, son visage à quelques centimètres du mien. Ses yeux étaient sans pitié. « Elle est ma future femme. Sa vie est plus importante que tout. Je la sauverai, et je te promets que tu recevras les meilleurs soins médicaux après. Mais maintenant, tu vas faire ce que je dis. »
Il a pris une seringue des mains du médecin. Il a retroussé ma manche avec une violence contenue. J'ai fermé les yeux, refusant de lui donner la satisfaction de voir mes larmes.
J'ai senti la piqûre aiguë de l'aiguille dans mon bras. Il n'a même pas laissé le médecin le faire. C'est lui, Roderick, qui m'a pris mon sang. Mon sang, qui a ensuite été transfusé à la femme qui avait pris ma place.
La pièce a commencé à tourner. Je me sentais faible, vidée. La dernière chose que j'ai vue avant de perdre connaissance, c'est Roderick, penché sur Éléonore, lui tenant la main, son visage rempli d'une tendre inquiétude pendant que mon sang coulait dans ses veines.
Je me suis réveillée des heures plus tard, seule dans ma chambre. Mon bras était bandé, douloureux. J'étais faible, mais la décision était prise. C'était fini. Définitivement.
J'ai entendu les servantes parler à nouveau dans le couloir.
« Monsieur n'a pas quitté le chevet de Mademoiselle Éléonore. Il est si dévoué. »
« Il a dit qu'il veillerait sur elle toute la nuit. »
Je me suis levée péniblement. J'ai ouvert ma valise. Elle était presque vide. Il n'y avait que quelques vêtements simples, un livre sur les plantes de Provence, et le petit flacon vide de "Promesse Éternelle". Ces objets étaient les seuls vestiges de ma vie d'avant. De ma vie avec Alex.
J'ai commencé à les ranger soigneusement. Une des jeunes servantes qui m'avait parfois montré un peu de gentillesse est entrée.
« Mademoiselle ? Vous... vous partez ? Mais pourquoi ? Monsieur Larson est l'homme le plus puissant de Paris ! Tant de femmes rêveraient d'être à votre place, même comme sa maîtresse. »
J'ai secoué la tête, un sourire triste sur les lèvres.
« Il m'a promis de m'épouser. Il a dit : "Je n'aurai qu'une seule femme, Juliette". Je ne serai jamais la concubine de personne. Surtout pas de lui. »
Je me suis souvenue de sa promesse, faite sous le ciel étoilé de Provence. Une promesse qui n'était plus que cendres.