Je l'ai regardé l'attraper, la serrer contre lui avec une tendresse infinie. Il lui a murmuré des mots rassurants, son visage rempli d'une angoisse que je n'avais jamais vue pour moi. Il l'a hissée sur le quai, l'enveloppant dans sa veste, complètement absorbé par elle.
Il ne m'a pas jeté un seul regard. J'étais là, à me noyer, et pour lui, je n'existais plus. J'étais invisible.
L'eau a rempli ma bouche, mon nez. Mes forces m'ont abandonnée. J'ai coulé, mes yeux toujours fixés sur la scène sur le quai. La dernière chose que j'ai vue, c'est Roderick tenant Éléonore dans ses bras.
J'ai perdu connaissance. Je me suis réveillée dans ma chambre de service. J'étais trempée et je tremblais de fièvre. Une servante m'a dit qu'un passant m'avait sortie de l'eau et qu'un employé de l'hôtel m'avait ramenée ici.
J'ai entendu des voix dans le couloir. C'étaient des domestiques.
« Monsieur Larson a fait venir les meilleurs médecins de Paris pour Mademoiselle Éléonore. Elle a juste pris un petit coup de froid. »
« Et l'autre ? La fille de la campagne ? »
« Personne ne s'en soucie. Monsieur a dit de la laisser se reposer. »
La fièvre me faisait délirer. Je me suis souvenue d'une fois où j'avais attrapé un rhume en Provence. Alex avait paniqué. Il était resté à mon chevet toute la nuit, me mettant des compresses froides sur le front, me forçant à boire des tisanes chaudes. Il n'avait pas dormi, ses yeux remplis d'une inquiétude sincère. Il m'avait dit : « Si tu es malade, mon monde s'arrête. »
J'ai ri, un rire amer qui s'est transformé en une quinte de toux douloureuse. Cet Alex était vraiment mort. L'homme qui avait retrouvé sa mémoire et son nom avait tué l'homme que j'aimais. Ce n'était pas seulement sa mémoire qu'il avait perdue en Provence, c'était aussi son cœur.
Je suis restée malade pendant près d'une semaine. Personne n'est venu me voir. Quand la fièvre est enfin tombée, j'étais faible, mais vivante. Roderick est entré dans ma chambre sans frapper.
Il a posé sur mon lit une pile de boîtes de marques de luxe. Des robes, des chaussures, des bijoux.
« C'est pour toi. Pour me faire pardonner. »
Sa voix était plate, mécanique.
J'ai regardé les cadeaux sans émotion. « Je n'en veux pas. »
Il a froncé les sourcils, agacé. « Qu'est-ce que tu veux alors ? »
« Je veux que tu me laisses tranquille. »
Il a ignoré ma demande. « Éléonore a vu les parfums que tu as créés en Provence. Elle trouve que tu as du talent. »
Mon cœur s'est glacé. Je savais ce qui allait arriver.
« Elle admire ton travail. Elle aimerait que tu crées les parfums pour nos cadeaux de mariage. Les flacons, les essences... tout. »
La demande était si cruelle, si insensible. Il me demandait de mettre mon talent, mon âme, au service de son mariage avec une autre. Il me demandait de célébrer ma propre défaite.
Il me demandait de créer des souvenirs parfumés pour eux, alors que les nôtres étaient devenus un mensonge.
J'ai senti quelque chose se briser en moi. La dernière parcelle d'espoir, la dernière trace d'affection que je pouvais encore avoir pour le souvenir d'Alex. Tout a disparu.
« Tu veux que je crée des parfums... pour ton mariage ? » ma voix était un murmure étranglé.
Il a hoché la tête, comme si c'était la chose la plus normale du monde. « C'est une grande opportunité pour toi. Tu seras payée généreusement. »
À ce moment, j'ai compris. Pour lui, notre passé n'était rien. Mon talent n'était qu'une marchandise. Mon cœur n'était qu'un obstacle. Il m'avait arraché tout ce que j'avais, et maintenant il voulait que je bénisse son bonheur avec mon propre art. C'était la torture ultime.