Cinq ans plus tard.
༆Cataleya༆
Assise en tailleur à même le sol, un paquet de pop corn sur les genoux, je suis captivée par le film qui se joue sur mon écran. Enfin le film, plutôt une série téléréalité sur la customisation de bagnole présentée par un ancien rappeur très en vogue à l'époque.
Depuis que j'ai 'migré' ici à Baltimore, je n'ai que de très rares occasions de toucher à ma passion d'adolescente. Ça aussi on me l'a arraché. À cette pensée, une boule acide se forme dans ma gorge, comme à chaque fois que je repense à tout ce qui se rapproche de Saint Anthony, de lui.
Je me demande souvent qu'aurait été ma vie s'il n'y était pas entré ? J'ai cherché, tourné l'histoire dans tous les sens pour savoir pourquoi il a agit de la sorte avec moi, sans y parvenir. Dans tout les scénarios que j'ai pu m'inventer, une seule chose en a découlé : ce mec est fou ! Il n'y a pas d'autres explications.
Ça fait maintenant cinq ans et la haine envers lui n'a pas diminué. Bien au contraire. Il m'a pris tellement. Quand je suis arrivée chez ma tante, Amy, j'y est trouvé de suite ma place. La sœur de ma mère est une femme extraordinaire. Une force de la nature, au caractère bien trempé si semblable au mien.
À chacune des épreuves que la vie lui a imposé, elle y a fait front avec acharnement. Une véritable guerrière qui a vécue la douleur deux ans plutôt par la perte de son amour d'enfance, mon oncle, avec qui elle a partagé plus de vingt ans. Il s'en est allé suite à un accident de voiture, un jour en rentrant du boulot, nous rappelant que la vie n'épargne personne et que c'est toujours les belles âmes qui partent en premier. Elle m'a insufflé un peu de sa force grâce à ses conseils avisés, rendant mon désespoir moins lourd à porter.
Et puis Sarah est entré dans ma vie au détour d'un couloir du lycée. Une véritable tornade blonde à la joie de vivre indéfectible. Elle a su réchauffer mon coeur tant de foi brisé par les humiliations que j'ai dû affronté par le passé. Son amitié m'a permis de relever et de sortir la tête de l'eau alors que j'étais en train de sombrer et de croire que des belles personnes existent encore.
Après la dernière année de lycée où nous sommes devenues inséparables, nous avons décidé de nous installer ensemble. Nous partageons désormais un petit appartement sur la côte Est de Baltimore. Un job de barmaid dans le même bar, Sarah et moi, vivons comme un couple et cela me va parfaitement. J'ai réussi à remettre ma vie sur les rails grâce à ces deux femmes. Mon cœur emplit d'amour pour elles se serre. Je leurs serai éternellement reconnaissante pour ce qu'elles ont fait.
Quand à ma famille restée là-bas, ma mère Stella me donne régulièrement des nouvelles au téléphone sur ce qui se passe dans leurs vies. Le garage a bien prospéré et marche très bien. Ma petite sœur, Cassandra, est devenue une jolie jeune fille, toujours plongée dans ses bouquins à l'eau de rose. Ma sœur est une vraie romantique qui croit encore au prince charmant. Quant à mon père, c'est plus compliqué. Il a du mal à digérer mon départ et ce malgré les années.
Mon exil forcé est un fardeau encore aujourd'hui, ayant entraîné une rupture irréversible entre mon père et moi. La porte d'entrée claque me tirant de mes réflexions. La tornade va s'abattre sur moi dans...
- Non mais je te jure ! Ces mecs sont des obsédés sexuels en rut.
Ma meilleure amie se vautre sur le canapé derrière moi comme une baleine, l'air exaspéré.
Je retiens difficilement mon sourire à ses propos. Mon regard la sonde. Un de ses bras recouvre ces yeux, tandis que l'autre pend mollement dans le vide à quelques centimètres de mon visage.
- On peut savoir ce qu'il t'arrive ? demande-je.
- Ce qu'il m'arrive ? C'est que j'ai la chatte en feu voilà ce qu'il m'arrive.
Elle découvre son visage et ses yeux d'un noir profond rencontrent les miens. Elle finit par exploser de rire et je la suis dans son hilarité.
Entre nous, parler de sexe n'est pas un problème. On ne se cache rien et partageons nos expériences sans gène. Bien que nous ayons tout de même notre jardin secret enfoui au plus profond de nous. Bien sûr j'ai eue quelques aventures, mais rien de sérieux et c'est très bien comme ça. Je ne cherche pas à me caser de toutes façons. Alors que nos rires résonnent encore dans le petit salon, mon téléphone posé sur la petite table basse se met à sonner.
Sans regarder qui m'appelle et encore hilare je décroche et lance un :
- Ouais ?
La voix qui retentit dans le combiné stoppe tout mon corps, me paralyse. Je suis en apnée, mon cerveau est passé en mode 'off ', plus rien n'existe à par la voix à l'autre bout de la ligne. Mon père. Une seule phrase avant que les tonalités ne retentissent. Une seule phrase qui va entraîner un véritable tsunami dans tout mon être et encore une fois dans ma vie.
༆༆༆༆
'Il s'est passer quelques de grave, rentre, maintenant.'
Cette phrase tourne et retourne dans mon cerveau depuis que je l'ai entendue, il y quatre heures. La suite des événements est floue dans mon esprit, comme si je vivais ma vie au travers de quelqu'un. Je crois avoir entendue Sarah me parler, puis m'enlacer.
Ses lèvres peintes de rouge remuaient sans émettre le moindre son. Ou peut-être que si ? Tout est confus dans ma tête. Ce n'est que quand elle m'a secoué, son visage angélique tiré par l'inquiétude, que j'ai enfin pu décrocher une phrase, pas très cohérente :
- Mon... je... rentrer chez moi...
Voilà tout ce que j'ai pu lui expliquer. Après tout, moi-même je n'en savais pas plus ! Comment pouvait-il m'appeler, au bout de tant d'années de silence radio, pour me dire une telle phrase ? Sans explications ! Je suis au bord de la déchirure mentale.
Sarah comme toujours est à mes côtés et je remercie le ciel pour me l'avoir envoyé. Encore plus aujourd'hui. Je me souviens, dans le brouillard qu'est mon esprit, qu'elle a de suite pris les choses en main. Fait les valises, organisé le voyage et prévenu Bryan de notre absence au bar. Je ne voulais pas qu'elle vienne.
Qu'elle se retrouve sans boulot à cause de moi, de mes histoires de famille, s'il m'en reste une encore aujourd'hui. Les mains sur les hanches, elle m'a foudroyé de son regard noir :
- Tu crois vraiment que je vais te laisser partir dans cet état, toute seule ? Aller dans cette maudite ville et te confronter à ce qui se passe sans moi ? T'auras pas tous ces mecs rien que pour toi chérie, alors oublie.
Comme toujours, elle réussit à me décrocher un sourire et apaiser une fraction de seconde cette douleur qui écrase mon cœur. Si mon père a daigné prendre le téléphone et m'appeler, c'est que la situation est préoccupante, voire grave. Un accident ? Peut-être. Un mort ? Certainement. Rien qu'à l'idée de penser à ça, la nausée me monte à la gorge.
Il nous a fallut une petite heure pour tout préparer. Une fois que tout était en ordre, ma meilleure amie m'a conduite jusqu'au sous-sol où était garée ma voiture. Un petit bijoux que je me suis offert il y a deux ans pour une boucher de pain. Une mustang noire que j'ai bien sûr retapé à l'aide d'un ami mécano. Assise côté passager je regarde défiler le paysage, plongée dans mon mutisme. La pluie zèbre la vitre de ma voiture, déformant les arbres et les bâtiments, comme si le temps était en harmonie avec mon humeur.
Il nous reste pas moins de trois heures de route pour arriver jusqu'à Saint Anthony, situé dans l'état du Maryland aux États-Unis, et je sens que mon cerveau va exploser de cette attente, les nerfs à vif.
༆༆༆༆
C'est la main fraîche de la conductrice qui me tire de mes songes. La lumière trop forte m'éblouit, m'obligeant à papillonner des yeux. Il me faut quelques instants pour faire le point et comprendre où je me trouve.
La devanture d'un snack m'indique que nous sommes arrêtées sur un parking où quelques voitures sont stationnées.
- Désolée de te réveiller, mais j'en peux plus. Il me faut une pause, déclare mon amie. Je me frotte les yeux et m'étire comme je peux dans cet habitacle restreint et baille en m'en décrocher la mâchoire.
- On est encore loin ? demande-je
- Non. Plus qu'une heure et on sera à Saint Anthony ma belle.
- Ok. Mangeons un bout et je prends le volant.
Après nous être rassasiées et passer par la case toilette, je m'installe au volant pour la dernière ligne droite. Pour l'instant mon stresse n'est qu'une petite boule logée dans mon ventre mais je sais que quand viendra l'heure, elle se transformera en un mastodonte qui m'étouffera et me lacérera les entrailles de ses griffes pour sortir, tel un monstre sanguinaire.
J'essaye tant bien que mal de ne pas y penser, de garder le contrôle de mes émotions. Sarah doit sentir mon mal être et presse sa main sur la mienne.
- Je suis avec toi, ok ?
Si elle savait combien son soutien est primordial pour moi. Je lui en suis tellement reconnaissante ! Je presse en retour sa main en guise de réponse, ne pouvant pas desceller les lèvres. Je démarre et lance la voiture sur cette ligne noire qui me mènera bientôt vers les portes de mon enfer.
༆༆༆༆
Une heure plus tard, le panneau défraîchi de la petite ville portuaire me déchire les rétines. Après ces cinq années loin d'ici, me voilà de retour. Dans d'autres circonstances je n'aurais jamais remis les pieds ici, dans cette bourgade que je hais par dessus tout.
Mais par la force des choses, je dois revenir dans cet endroit qui a été le point culminant de ma vie. À qui je mens !
La vérité c'est que si j'avais eu le choix, je serai restée auprès de ma famille, là où était ma place. Hélas, on n'a pas toujours ce que l'on veut dans la vie, encore moins quand quelqu'un vous met le dos au mur.
Je guide mon bolide que j'affectionne particulièrement, au travers de ces rues et ruelles qui me rappellent tant de choses. J'ai la sensation que le temps s'est figé depuis mon départ. Je retrouve les mêmes maisons fleuries, le vendeur de hot-dogs au coin d'une rue. Des parents surveillants leurs adorables diablotins jouant dans le parc, ou encore un jeune couple se tenant la main, le temps d'une balade sur la digue.
Même l'air chaud aux odeurs d'agrumes et de pins s'invitant dans l'habitacle par la fenêtre ouverte, venant caresser ma peau luisante de sueur. Au mois de juillet, les chaleurs ici sont écrasantes et les heures de route que nous venons de passer au volant, m'ont épuisé. La fatigue, le feu du dehors grignotent peu à peu mon self-control et mon stress gagne alors en intensité, me rappelant des souvenirs douloureux que j'aurais aimé laisser dans mon tiroir fermé à double tours.
J'ai passé une seule et unique année ici et malgré tout, des moments agréables entourée d'une famille aimante et d'une amie fidèle, Kalisha. Une belle blonde native de la ville, à la peau blafarde et au mensuration de rêve. Elle était tout mon contraire quand j'y repense ! Grande, fine et élancée. Un mannequin en devenir. Alors que moi j'étais pulpeuse, petite et garçon manqué. C'était une grande timide, effacée. Sa simplicité me permettait de reprendre mon souffle dans les moments les plus durs.
Elle m'en a voulu quand je lui est annoncée que je partais. Je me souviens encore des mots qu'elle m'a balancée :
- Tu n'es qu'une faible Leya ! Au lieu d'affronter tes problèmes causés par ce... truc. m'avait elle dit. Je suis si vexée que tu ne restes pas bordel, j'ai l'impression de pas être importante pour toi.
Nous avons fini en larmes toutes les deux avant que je ne monte dans mon train, en destination de l'inconnu. Elle l'était pourtant : importante. Mais je ne pouvais pas rester. Il aurait mis ses menaces à exécution et il en était hors de question. Et puis la distance, le manque de temps, nos vies respectives ont fait qu'on s'est éloignées mais je n'ai pas oublié quelle amie elle a été.
Les fous rires, les soirées qu'on passait toutes les deux sur le balcon de ma grange à refaire le monde. Je ne sais pas ce qu'elle est devenue mais je suis sûre qu'elle se serait très bien entendu avec Sarah. Me remémorer tout ça me vole un sourire, vite effacé par des souvenirs corrompus par, et à cause, d'une seule et même personne.
Mon cauchemar, mon Hadès. Celui qui a fait basculer mon monde dans la noirceur. Je réprime cette fois-ci, un haut le cœur rien qu'à l'idée de le revoir...lui. Peut-être arriverai-je à l'éviter le temps de mon séjour ? Un rire nerveux franchit mes lèvres desséchées. A qui tu veux faire croire ça Cataleya ?
Je me mords la lèvre en sachant parfaitement que se sera impossible, mais j'aimerais y croire juste un instant pour me donner un semblant de courage. J'en est besoin pour affronter ce qui va suivre. Je ne compte pas m'éterniser trop longtemps. Je m'assure que tout va bien pour eux et je repars.
Bien sûr j'aimerais rester ici auprès de ma famille, rattraper toutes ces années loin d'eux. Mais si cet enfoiré en décide autrement, il fera tout ce qu'il y a en son pouvoir pour me faire dégager. C'est pour quoi une fois cette histoire réglée, je rentrerai chez moi.
Je franchis le dernier quartier et lance ma voiture vers les hauteurs de la ville. Tu es forte Leya, tu n'es plus une gamine ! Je me répète cette phrase comme un mantra pour me donner le courage de l'affronter, lui, eux. Et si je dois me battre contre ce chien de l'enfer, qu'il en soit ainsi !
M'insufflant la force nécessaire, cramponnée au volant je regarde droit devant moi, déterminée. Je suis en pilote automatique, me laissant guider par mes souvenirs, je serpente sur cette route sinueuse de montagne en direction de la ferme. C'est comme si je n'étais jamais partie.
Mes parents ont investi dans une vieille ferme isolée de Saint Anthony. Une petite ville portuaire, nichée aux pieds d'une montagne aux roches acérées. Le panorama est d'une beauté sauvage à l'état brut, magnifique. Sa verdure chatoyante, d'où se dégage une odeur de pin, s'entremêle avec l'air iodé de la mer.
C'est d'ailleurs pour ça que mes parents, Dean et Stella Cooper, l'ont choisi. Un lieu idéal pour y élever leurs filles et ouvrir leur garage, pour y couler des jours heureux, loin de la pollution des grandes villes. Je me souviens encore de leurs sourires remplis de bonheur en nous voyant sauter autour d'eux, ma sœur et moi, comme des petites filles devant leurs cadeaux de Noël :
- C'est trop génial papa, et t'as vu tout cet espace ! m'étais-je exclamée.
Pour avoir de l'espace, il y en avait ! La vieille bicoque était implantée sur au moins un hectare. Des travaux étaient à prévoir, comme la façade écaillée à repeindre ou le toit du porche, mais ce n'était pas grave. Nous allions la remettre sur pied et ce serait notre cocon rien qu'à nous. Un peu en retrait de celle-ci, se trouvait ce qui devait être la grange. Elle aussi en piteux état.
L'énorme main de mon père se posa sur mes épaules rondelettes :
- Quand elle sera réparée, ça sera ton petit coin à toi ma chérie.
Je me retournais dans sa direction tellement vite que ma tête me tourna.
- C'est vrai ! Il hocha simplement la tête en guise de réponse et je lui sautais dans les bras.
- C'est trop coooool ! crie-je. Son rire tonitruant s'élevait dans les airs faisant s'envoler des oiseaux cachés dans les arbres.
Notre nouvelle maison était située au pied de cette majestueuse montagne où s'étendait une forêt de pins. Plus loin en bordure de la route se trouvait une structure un peu plus moderne, faite de bois et de métaux. Assez imposante pour cacher la maison de la route. C'est à cet endroit que je passerai le plus clair de temps, dessus ou dessous d' un moteur, au grand désespoir de ma mère et au plus grand plaisir de mon père.
J'ai toujours eu une relation fusionnelle avec cet homme. Un grand type à la peau claire, des yeux d'un vert d'eau époustouflants. Corpulent, des cheveux d'un noir corbeau dont j'ai hérité, une barbe bien taillée. Il me faisait penser à un nounours. Une force de la nature, ancien militaire/ mécanicien à la retraite, c'est un homme juste et loyal.
D'une bienveillance protectrice, surtout pour les siens. Il avait toujours rêvé d'avoir un garçon, pour pouvoir lui apprendre son métier : passionné de voiture. C'était dans ces termes qu'il parlait de son job. Ça me faisait toujours rire. Alors quand j'ai pointée le bout de mon nez, pas qu'il est été déçu, mais il ne s'attendait pas à avoir une fille.
Mes parents avaient décidé d'ignorer le sexe jusqu'à la fin.... C'est pour quoi à ma naissance, sur toutes les photos, je suis habillée en bleu et qu'aujourd'hui encore mon père m'appelle : Charly, le nom qu'il avait espéré donner à son fils.
Mais très vite, c'est ma mère qui a déchanté quand je ne jouais qu'avec les voitures miniatures que mon père ramenait. Ou que je refusais de mettre des jupes et des rubans dans mes cheveux. 'Trop fille ' à mon goût. En grandissant la passion de mon géniteur m'a atteinte et c'est avec les mains pleines de cambouis que je me sentais le mieux.
Il m'a appris tout ce qu'il fallait savoir sur un moteur, le démonter et le remonter n'était plus un secret pour moi. Puis ma sœur est arrivée, mais cette fois c'est ma mère qui a été comblée. Une vrai fi-fille. Tout ces souvenirs, bien qu'ils aient été heureux, me perforent le cœur. Ils me rappellent ce que j'ai dû abandonner ce soir-là.
༆༆༆༆
Enfin arrivée à destination, je stoppe mon véhicule devant des hautes grilles qui n'étaient pas là quand je suis partie. Je fronce les sourcils alors qu'un mec gringalet se dirige vers moi. Il porte un jean large, un tee-shirts blanc recouvert de tache de cambouis. Il se frotte les mains dans ce qu'il semble être un torchon.
Mes yeux suivent tous ses gestes et le détaille de la tête aux pieds dans l'espoir de le reconnaître. Il se stoppe à ma fenêtre, un petit sourire sur ses lèvres fines. Ces yeux sont marron presque noir, cerclés d'une paire de lunettes. Un visage avenant qui efface d'un coup ma peur naissante.
- J'peux vous aidez m'dames ? nous questionne-t-il.
- Euuuh... oui. Je suis la fille de Dean Cooper et ....
Je n'ai pas le temps de finir ma phrase que des vombrissement assourdissants se font entendre.
Nous tournons nos visages d'un seul homme vers la source de se raffut et c'est avec horreur que je remarque l'écusson familier qu'il arbore fièrement dans son dos : Prospect.
C'est quoi ce bordel !
J'essaye de toutes mes forces de refermer cette boîte de Pandore qui vient de s'ouvrir rien qu'en voyant cette appellation. Mais elle me submerge, m'engloutie. Elle me broie les tripes en me projetant des images de son visage haineux lors de notre dernière rencontre.
Un visage d'ange que j'avais pourtant pris soin d'oublier toutes ces années. Des yeux de miel, où se reflètent les flammes de l'enfer. Je tente malgré tout de ne rien laisser apparaître sur mon visage quand au loin, les masses noires se rapprochent.
- Ça va aller Leya ? me demande mon amie Je hausse simplement les épaules et serre les dents tellement fort que j'ai mal à la mâchoire.
J'espère qu'il ne fait pas partie du convoi de ces trois motos qui arrivent. J'ai le cœur au bord des lèvres, l'énorme boule acide vient se loger dans ma gorge, m'étouffant, tel un python resserrant sa prise. Mes phalanges blanchissent tant je suis cramponnée au volant. Je m'aperçois que je ne suis pas prête ! Je ne peux pas le voir maintenant. Priant pour que ce ne soit pas lui, je ferme les yeux et les rouvrent à la seconde où les moteurs se stoppent à notre hauteur.
Cet avec un soulagement indéfinissable que mon regard pers tombe sur une masse sombre au cheveux clairs. Ce blondinet, je le reconnais. C'est Peter. Il ne m'a pas encore vue, son regard étant focalisé sur le prospect.
- Qu'est-ce qu'on a Cam ?
Sa voix est plus grave que dans mes souvenirs. Je me rends compte que ces cinq années l'ont rendu plus... homme. Quand je suis partie, il avait tout juste 17 ans, une voix profonde tirant encore sur les aigües et une carrure moins imposante. Aujourd'hui, nous avons changé, laissant nos corps d'enfant, pour devenir des adultes.
Ses cheveux de surfeur son beaucoup plus long, l'obligeant à les attaché en un sorte de chignon fou, dont plusieurs mèches s'échappent. Il a toujours été un beau garçon, attirant les jeunes filles comme du miel sur une tartine de pain. Ce serait mentir de dire que j'ai été une exception. Mais bizarrement, il n'a jamais tenté quoi que ce soit avec moi. Très vexant d'ailleurs !
À cette époque, je sais que je n'étais pas la plus jolie des filles de Saint Anthony, avec mes kilos en trop, j'ai eu souvent des réflexions du style 'faut faire un régime Leya ! ', 'les bouées, c'est pour la mer tu sais !'... . Des méchancetés gratuites qui m'ont marqué dans ma jeunesse. J'entends encore son rire à lui quand ces groupies me lançaient des piques aussi laides les unes que les autres.
Connard !
Mais aujourd'hui moi aussi j'ai changé. J'ai mûri, me suis armée psychologiquement. Après des mois de sport intensif je me suis musclée en m'inscrivant dans une salle de sport. Je sais aujourd'hui que je ne ressemble plus à la gamine rondelette de 16 ans que j'étais autrefois.
Que mon style vestimentaire, ma vision du monde à changer également, mais quand son regard se pose sur moi pour la première, je sais qu'il m'a reconnue. Ses yeux noir s'écarquillent de surprise.
- Bordel !....Leya ! souffle t-il.
Ses mots ne sont qu'un murmure et me donne la chair de poule.
Je redresse le menton, prête à en découdre : - Bonjour Peter, déclarè-je.
Il enclenche la béquille de son engin de malheur. Une Harley noire mat'. Elle est magnifique mais me fait froid dans le dos quand je vois le logo en noir et or, peint dessus. Il descend, jetant sa jambe musclée, son regard parcourant les alentours.
Il est aux aguets. Ma pression artérielle augmente d'un coup, mon sang fouettant dans les veines. Il le cherche ou quoi ?
- Leya bordel ! Il va très mal le prendre en te sachant ici.
J'ai l'impression de me prendre un uppercut dans le ventre sous le coup de ses paroles.
Ma respiration est laborieuse, mon cœur douloureux. Mon cerveau me cri de partir, de faire demi tour, qu'il est encore temps. Mais il est hors de question que je me laisse encore une fois dicter ce que je dois faire. Cette Cataleya n'existe plus depuis longtemps. Déterminée, je le regarde droit dans les yeux et proclame :
- J'en ai rien à foutre qu'il soit furieux. Je veux voir mon père Peter, et tout de suite.
Il fait la moue et fourre sa main dans ses cheveux clairs, m'indiquant qu'il est nerveux. Il scrute ses acolytes que je n'avais même pas remarqué jusqu'à maintenant. Assis les avant-bras appuyés sur son guidon, un homme d'une trentaine d'années nous scrute. Il arbore une barbe tressée et des cheveux noir rasés sur les côtés. Des tatouages partout sur le visage, les bras, le cou ornent son corps.
Des yeux bleus injectés de sang me rendent mon regard. Il est carrément flippant ! À sa droite, le dernier type est plus ordinaire, plus vieux aussi. Je dirais une cinquantaine d'années. Une barbe et des cheveux blanc/gris, lui donnent une allure d'un membre du groupe des zizitop. Un sourire espiègle placardé sur sa face, il me regarde comme s'il savait qui j'étais.
Peut-être pressent-il les emmerdes que ma venue va déclencher ? Sûrement.
- Ok, comme tu voudras, reprend Peter. Par contre je suis obligé de te fouiller. Mes yeux s'écarquillent d'horreur.
Je sens mes joues me bruler à son annonce farfelue.
- Quoi ? Tu te fous de moi ? Devant sa mine sérieuse, je comprends qu'il ne rigole pas.
Il est hors de question qu'il me touche ! Ni lui, ni ces mecs flippants d'ailleurs. Il s'avance d'un pas et ancre ses boots en cuir au sol, croise ses avant-bras sur sa large poitrine, faisant prendre vie à ses innombrables tatouages avec ses muscles. Je déglutis péniblement face à ce spectacle, observant l'encre noire, comme hypnotisée. - Écoute Leya, c'est la procédure ok, commence-t-il. On fouille chaque étran... personne qui n'est pas de la maison.
La pointe aiguisée d'une flèche me transperce de part en part à sa déclaration. Au mot qu'il a tenté de rattraper, mais qui résonne encore dans ma boîte crânienne : Étrangère. J'essaye d'afficher un air détaché à tout ça. Ça me rend folle, mais je sais qu'il a raison. Je suis une étrangère.
- Ok, je comprends. Et c'est normal.
Mes paroles sont comme du papier de verre dans ma gorge, me lacérant de l'intérieur. Je me détache rageusement et ouvre la portière pour descendre de mon véhicule. Je regrette aussitôt de m'être habillée avec ce short en jean brut trop court élimé qui laisse entrevoir mes poches. Mon top a fine bretelles blanc à l'effigie d'Iron Maiden et de mes boots noires à perles blanches, dès lors que leurs regards se posent sur moi.
J'ai l'impression d'être une proie face à des loups devant leurs repas. Je commence seulement à prendre conscience dans quelle merde je suis en train de me foutre. Peter se racle la gorge, son regard fuyant le mien et déclare :
- Ton amie aussi Leya !
Je me tourne et scrute mon amie qui affiche une mine médusée. Une tempête fait rage dans son regard mais elle se contient. Je la supplie au travers du mien de ne pas faire d'histoires et de faire ce qu'on lui demande. Elle finit par lever les yeux au ciel et me rejoint en claquant la portière.
Même si j'ai pu connaître l'un d'eux dans une autre vie, avec leurs motos, leurs tatouages et leurs regards de tueurs, ces types sont dangereux.
Ce sont des Hadès Creepy Rider et je m'apprête à entrer dans leur tanière.
À suivre...