La voix d'Alan Moore, son mari depuis sept ans, lui parvint, lointaine et irritée, noyée dans le bruit des vagues et des rires. « Juliette, ne peux-tu pas me laisser tranquille une seule fois ? Je suis sur la Côte d'Azur avec Carole. Appelle un médecin. »
« Je... je ne peux pas... bouger... »
Un clic sec. Il avait raccroché. Ce fut le dernier son qu'elle entendit. Son corps s'affaissa sur le tapis persan, ses yeux fixant le plafond luxueux qu'elle ne verrait plus jamais. Sa dernière pensée fut un regret amer, non pas de mourir, mais d'avoir gâché sa vie pour un amour qui n'avait jamais existé.
Puis, l'obscurité.
Juliette ouvrit brusquement les yeux. La lumière du soleil parisien filtrait à travers les rideaux de soie, illuminant une chambre qu'elle connaissait trop bien. C'était leur appartement, mais tout semblait... différent. Plus neuf. Elle jeta un coup d'œil au calendrier numérique sur le mur. Une date s'afficha, la faisant frissonner. Elle était revenue au tout début de son mariage.
La porte de la chambre s'ouvrit. Alan se tenait là, impeccablement vêtu d'un costume sur mesure, ajustant ses boutons de manchette. Il ne lui jeta même pas un regard.
« Je sors. J'ai un rendez-vous avec Carole. Ne m'attends pas. »
La voix de Carole. Le nom qui avait hanté sa vie passée. Dans son autre vie, elle aurait pleuré, supplié, mais aujourd'hui, une froide détermination s'était emparée d'elle. Elle s'assit dans le lit, le drap de soie glissant sur ses épaules.
« Alan. »
Sa voix était calme, dénuée de toute l'émotion suppliante qu'il avait l'habitude d'entendre. Il s'arrêta, surpris, et se tourna enfin vers elle.
« Quoi encore ? »
Juliette prit une liasse de papiers sur la table de chevet. Elle les avait fait préparer par un avocat dès la première heure. C'était une convention de divorce par consentement mutuel.
« Je veux divorcer. »
Alan la fixa un instant, puis un rire méprisant éclata. « Divorcer ? Juliette, tu es de plus en plus ridicule dans tes tentatives pour attirer mon attention. C'est pathétique. »
Elle ne cilla pas. « Je suis sérieuse. Signe ça. Nous avons un mois de délai de réflexion légal. Après ça, nous serons libres. »
Son incrédulité se mua en irritation. « Tu penses vraiment que je vais croire à cette comédie ? Tu es une Fowler, tu t'es accrochée à ma famille en utilisant mon grand-père. Tu ne lâcheras jamais le nom des Moore. »
Le souvenir de son grand-père, le seul Moore qui l'ait jamais traitée avec gentillesse, lui serra le cœur. Mais elle ne laissa rien paraître.
Dans sa vie passée, elle avait tout sacrifié pour lui. Son rêve d'ouvrir une pâtisserie, son talent hérité de son père, un chef triplement étoilé au Michelin. Elle était devenue une simple femme au foyer, une ombre dans cette immense maison, espérant un regard, une miette d'affection. Elle s'était souvenue de la froideur de leurs nuits, des anniversaires oubliés, de la façon dont il la présentait comme « la femme que mon grand-père a choisie pour moi ».
Elle se rappela Carole Green, la blogueuse mode, toujours à ses côtés sur les photos des magazines, son bras possessif autour de celui d'Alan. Carole, qui l'appelait parfois pour lui décrire en détail ses escapades romantiques avec Alan, sa voix douce et venimeuse.
« J'ai tout abandonné pour toi, » avait-elle murmuré un soir, seule dans leur lit immense.
« Je ne t'ai jamais rien demandé, » avait-il répondu, ses mots plus froids que la glace.
Ces souvenirs la renforcèrent. Elle le regarda droit dans les yeux, son visage impassible.
« Je ne veux plus de toi, Alan. »
Il la dévisagea, une lueur de confusion dans ses yeux froids. Elle signa sa partie du document avec un stylo qu'elle gardait près d'elle, puis le lui tendit.
« Signe. »
Il la regarda, puis le papier, un rictus sur les lèvres. « Très bien. Jouons à ton petit jeu. Si, dans un mois, tu vas jusqu'au bout de cette mascarade et que le divorce est prononcé, je te donne le Château Lafite. Le domaine le plus précieux de ma famille. »
Il était certain qu'elle reculerait. Qu'elle reviendrait en larmes, comme toujours.
« Je n'en ai pas besoin, » répondit-elle simplement. « Je veux juste ma liberté. »
Elle ajouta, sa voix un murmure glacial : « Et je vais disparaître de ta vie. Tu ne me reverras plus jamais. »
Il rit de nouveau, secoua la tête et quitta la pièce sans signer, laissant les papiers sur le lit. Il était convaincu que ce n'était qu'un caprice. Il avait tort. Cette fois, Juliette Fowler n'allait pas seulement divorcer. Elle allait renaître.