Un soir d'hiver particulièrement glacial, sa mère l'a simplement mise à la porte. Juliette, grelottante dans sa fine chemise de nuit, s'est effondrée dans la neige devant l'église Saint-Sulpice. C'est là que le Père Alan Moore l'a trouvée. Il était jeune, charismatique, et ses yeux brillaient d'une gentillesse qu'elle n'avait jamais connue.
Il l'a enveloppée dans son manteau chaud, l'a ramenée à l'intérieur et lui a offert une tasse de chocolat chaud. Pour la première fois, Juliette a senti la chaleur. Pour la première fois, elle a cru qu'elle pouvait être aimée. Le Père Alan est devenu son sauveur, sa figure paternelle, son monde entier.
Onze ans ont passé. Le jour de son seizième anniversaire, Juliette a rassemblé tout son courage. Dans le confessionnal, au lieu de réciter ses péchés, elle a avoué son amour pour lui. Le silence qui a suivi fut plus froid que la neige de son enfance.
Le Père Alan est sorti du confessionnal, son visage une statue de glace.
« Tes pensées sont impures, Juliette. Tu as souillé ce lieu saint. »
Son espoir s'est brisé. La chaleur qu'elle avait connue pendant onze ans s'est évaporée.
« Cécilia est très malade », a-t-il poursuivi d'un ton détaché. « On dit qu'il existe un guérisseur en Corse qui possède un remède rare. Tu iras le chercher pour elle. C'est ainsi que tu pourras expier tes péchés. »
C'était un ordre, pas une suggestion. Une mission dangereuse pour le bien de la sœur qui l'avait toujours détestée. Poussée par le désir désespéré de regagner son affection, Juliette a obéi. En Corse, le "guérisseur" s'est révélé être un charlatan et un meurtrier. Il l'a tuée pour le peu d'argent qu'elle portait sur elle.
Son esprit, cependant, n'a pas trouvé le repos. Lié par son amour non résolu et son sentiment d'injustice, il est retourné à Saint-Sulpice, le seul foyer qu'elle ait jamais connu. Elle est revenue vers le Père Alan.
Elle l'a trouvé dans son bureau, en train de lire. Il ne la voyait pas, bien sûr. Pour lui, elle était toujours en Corse, en train de chercher un remède. Son visage était serein, mais une froideur nouvelle s'était installée dans ses yeux. Il semblait plus distant, plus inaccessible que jamais.
Il a levé les yeux de son livre, comme s'il sentait une présence, et a froncé les sourcils.
« Le vent est glacial ce soir. »
Puis il a repris sa lecture, ignorant le courant d'air qui était l'âme de Juliette.
Le lendemain matin, Cécilia et Madame Lloyd sont venues à l'église. Cécilia, loin de paraître malade, rayonnait de santé. Le Père Alan les a accueillies avec un sourire chaleureux, un sourire que Juliette n'avait pas vu depuis son terrible aveu.
« Père Alan, » dit Madame Lloyd d'une voix mielleuse, « nous sommes si reconnaissantes que vous ayez accepté de devenir le guide spirituel de Cécilia. Votre sagesse est un tel réconfort pour notre famille. »
Le Père Alan a incliné la tête.
« C'est un honneur. Cécilia a une âme pure, il est de mon devoir de la guider sur le droit chemin. »
Juliette, flottant près d'eux, a senti son esprit se déchirer. Il la remplaçait. Il donnait à sa tortionnaire la place qu'elle avait chérie pendant toutes ces années.
Plus tard, Cécilia a trouvé un prétexte pour parler à Juliette en privé, sachant d'une manière ou d'une autre que son esprit était là. Elle tenait un petit pot de pommade.
« Ma pauvre sœur, » dit-elle avec une fausse pitié, « tu dois avoir si froid. J'ai entendu dire que cette pommade réchauffe le corps. C'est un cadeau de ma part. »
Elle a posé le pot sur la table. Juliette a su immédiatement que c'était un piège.
Quand le Père Alan est revenu, il a vu Juliette regarder fixement la pommade. Cécilia a immédiatement commencé à tousser faiblement.
« Père, je crois que Juliette est en colère contre moi. Elle pense que je lui ai volé votre affection. Elle a refusé mon cadeau. »
Le Père Alan s'est tourné vers Juliette, son visage dur.
« Tes pensées sont toujours aussi viles. Tu es consumée par la jalousie. »
Il a pris le pot.
« Pour ta pénitence, tu passeras la nuit à prier dans la crypte. Le froid t'aidera peut-être à purifier ton cœur envieux. »
La crypte était glaciale, humide et sombre. C'était là que les corps des anciens prêtres reposaient. Seule et désespérée, Juliette s'est assise par terre. Avec un morceau de charbon trouvé dans un coin, elle a commencé à graver sur une pierre plate.
Juliette Lloyd. Morte à seize ans. Sans amour.
C'était sa propre pierre tombale. En traçant les lettres, elle se souvenait des rares moments de tendresse : le Père Alan lui apprenant à lire, lui caressant les cheveux quand elle avait de la fièvre, lui souriant doucement quand elle réussissait un exercice. Ces souvenirs étaient maintenant une torture.