Au poste de gendarmerie, l'atmosphère est tendue. Mes beaux-parents et Luc sont dans une autre pièce. Je suis avec une gendarme, une femme d'une quarantaine d'années au regard bienveillant.
« Madame, calmez-vous. Racontez-moi tout depuis le début, » dit-elle doucement.
Je tremble encore sous le choc de la gifle et de leur trahison.
« Je ne comprends pas, » je murmure. « Tout allait bien. Et puis... ce rapport. »
« Quel rapport ? »
« Le rapport d'analyse du vin. C'est quand ils le lisent qu'ils deviennent fous. Je veux le voir. J'ai le droit de le voir. »
La gendarme fronce les sourcils, intriguée. Elle quitte la pièce et revient quelques minutes plus tard avec le document, que ses collègues ont récupéré. Elle me le tend.
Mes mains tremblent en le prenant. Je le lis. Je lis les données sur les tanins, les sucres, l'acidité. Rien d'anormal. Des données techniques, complexes, mais rien qui puisse justifier une telle violence.
Je continue de lire, désespérée, cherchant l'indice qui m'échappe.
Et puis, je le vois.
Tout en bas de la page, une section que je n'avais pas remarquée dans ma panique. Une analyse chromatographique. Une analyse que je n'ai pas demandée, mais qui a été ajoutée. Elle révèle la présence d'un composé chimique. Un marqueur.
Le rapport le décrit comme un "marqueur génétique rare, signature d'une maladie héréditaire".
Mon sang se glace. Je lis la description de la maladie. Une tare dégénérative, transmise de génération en génération. Une maladie présente, selon les notes, "exclusivement dans la lignée de la famille de mon mari".
Mon cœur s'arrête. Ce n'est pas possible. Luc et moi avons fait des tests. Nous sommes tous les deux porteurs sains, mais la combinaison ne pouvait pas donner un enfant malade.
Je continue à lire, les yeux brouillés de larmes. Le rapport détaille les marqueurs, la combinaison génétique précise détectée dans l'échantillon de vin... qui est aussi un échantillon de mon sang, prélevé pour l'analyse.
Une combinaison qui n'est possible que si le père de l'enfant est...
Non.
Pas Luc.
Antoine.
Mon beau-frère. Le paria. L'exilé.
Mon esprit s'emballe. Un souvenir remonte, flou, brumeux. Une soirée de dégustation au château, il y a plusieurs mois. Antoine avait fait une apparition surprise, furtive. Il était resté à peine une heure.
Il m'avait servi un verre. Un verre d'un vin spécial, disait-il. Après l'avoir bu, je me suis sentie étrangement vaseuse, fatiguée. J'ai mis ça sur le compte de la grossesse débutante. Je suis allée m'allonger.
Je n'étais pas juste fatiguée. J'avais été droguée.
Et abusée.
Par Antoine.
L'horrible vérité m'explose au visage. Cet enfant, mon bébé, n'est pas celui de Luc. C'est le fruit d'un viol. D'un inceste.
Le "vin bâtard".
Voilà ce qu'ils ont vu dans ce rapport. La preuve irréfutable que leur lignée, leur nom si prestigieux, allait être souillé par le sang de leur fils maudit. Leur amour pour moi, pour leur futur petit-enfant, n'était qu'une façade. Tout ce qui comptait, c'était la pureté de leur sang, la protection de leur secret de famille.
Ma douleur se transforme en une rage froide. Ils ne savaient pas pour le viol. Ils s'en fichaient. Ils ont juste vu la tache sur leur réputation et ont décidé de l'effacer. Moi et mon enfant.
Je relève la tête. La gendarme me regarde, attendant.
« J'ai compris, » dis-je, ma voix dure comme la pierre. « Je veux porter plainte. Pour agression, séquestration, et tentative de me forcer à avorter. Et je veux que vous retrouviez Antoine. »
La guerre ne fait que commencer.