Chapitre 5 Chapitre 5

- Tu l'aimais, mais tu l'as détruite. Tu peux m'expliquer cette logique, ou tu comptes continuer à jouer à l'homme mystérieux ?

Damien referme calmement le bouton de sa chemise, sans même lever les yeux vers moi. Son silence me gifle plus fort que n'importe quelle insulte. J'avance d'un pas, le document toujours en main.

- Ce rapport. Ce n'est pas une rumeur. Ce n'est pas un malentendu. C'est ta signature. Ta décision. Ma mère t'aimait, elle te faisait confiance, et tu l'as piétinée.

Il relève enfin les yeux. Froids. Insondables.

- Ce que tu crois savoir, ce que tu *penses* comprendre, est bien en dessous de la réalité. Clara n'était pas cette femme candide et parfaite que tu idolâtres. Elle était capable d'autant de manipulation que moi.

- Ah, donc tu t'excuses en la salissant ?

- Je ne m'excuse pas, dit-il calmement. Je t'informe. Tu joues avec des souvenirs, moi je parle de faits. Elle a pris des décisions. Moi aussi.

- Tu l'as poussée à la ruine.

- Elle avait déjà commencé à creuser sa propre tombe avant que j'intervienne.

Je sens le souffle me manquer. Il parle d'elle comme d'un dossier clos, d'une erreur stratégique. Pas d'un être humain. Pas de la femme qui m'a élevée avec courage et dignité. Mes mains tremblent de rage.

- Tu ne l'as même pas pleurée, n'est-ce pas ?

Il me dévisage. Une fissure traverse son masque, mais il la referme aussitôt.

- Tu n'es pas prête pour certaines vérités, murmure-t-il. Et moi, je suis trop fatigué pour les cracher à une oreille hostile.

- Tu peux jouer les énigmatiques autant que tu veux. Je trouverai ce que tu caches.

Je quitte la pièce sans attendre sa réponse, le cœur martelant mes côtes. Il me fuit, esquive, retourne chaque confrontation à son avantage. Mais je suis prête à perdre ma naïveté pour découvrir ce qu'il a réellement fait.

Il est midi quand je reçois un message inconnu : *« Café Rive Est. Seule. 12h30. Urgent. »*

Je devrais l'ignorer. Mais l'instinct me pousse à y aller. J'arrive avec dix minutes d'avance. Un homme est déjà assis. Débraillé, barbe mal rasée, lunettes aux verres légèrement rayés. Il me reconnaît avant même que je ne parle.

- Vous êtes plus audacieuse que je le pensais.

- Et vous plus cryptique que je l'espérais. Qui êtes-vous ?

Il sort une carte froissée : *Marc Vellon, journaliste indépendant.*

- J'ai tenté de contacter votre mère, il y a des années. Elle m'a ignoré. Je comprends mieux maintenant : elle avait peur.

- Peur de quoi ?

- De Damien Black.

Il sort un dossier de son sac. L'ouvre. Plusieurs coupures de presse, des relevés bancaires, et une photo. Ce n'est pas celle qu'il me montre en premier, pourtant. Il me tend un relevé de transactions.

- Regardez ça. Juste avant la chute d'Auralys Corporation, plusieurs transferts ont été faits vers des sociétés-écrans. Toutes reliées, au final, à Black Industries. Il a orchestré le rachat en douce. Techniquement, c'est légal. Moralement... c'est un massacre.

Je serre les dents. C'est une confirmation de ce que je soupçonnais déjà.

Il continue :

- Ce type, votre mari... il a les mains propres, mais les sous-traitants qu'il emploie sont des charognards. Il vous manipule. Et il vous utilise. Votre nom, votre lignée, c'est un levier pour quelque chose de bien plus grand que ce que vous imaginez.

Je le fixe. Incrédule.

- Pourquoi me dire tout ça maintenant ?

- Parce que j'ai entendu qu'on vous surveille. Vous êtes mariée à un prédateur. Et il vous garde près de lui pour mieux contrôler le passé.

Il sort enfin la photo. Et c'est là que mon souffle s'arrête.

Ma mère. Souriante. Belle. Et à ses côtés, plus jeune, mais indéniablement reconnaissable : Damien. Bras autour de ses épaules. Proche. Trop proche.

- Ils étaient ensemble, dis-je à voix basse.

Marc hoche la tête.

- Pas juste ensemble. Ils formaient un duo. Un couple, peut-être. Mais il y a une autre photo, que je n'ai pas encore réussi à récupérer. Elle montrerait quelque chose de bien plus compromettant. Une réunion à huis clos. Cinq personnes. Clara Morane. Damien Black. Et trois hommes dont deux ont disparu dans les années suivantes.

- Disparu ?

- Supposément en cavale. Ou suicidés. À croire que chaque pièce du puzzle s'éclipse dès qu'on la touche.

Je prends la photo. La glisse dans ma poche. Je dois digérer. Relier. Comprendre.

- Faites attention, dit Marc. Si je vous ai trouvée, eux aussi le peuvent. Et croyez-moi : ceux qui veulent que vous vous taisiez n'enverront pas des journalistes.

Le manoir est vide à mon retour. Je cours presque jusqu'à la chambre de Damien, où je fouille sans vergogne. Rien dans ses tiroirs. Rien dans son coffre. Mais dans la bibliothèque, un livre dépasse légèrement. *L'Art de la Guerre.*

Derrière, une fente. Un double fond.

Je l'ouvre. À l'intérieur, une vieille enveloppe scellée par de la cire. Je n'ose pas encore la lire. Mon regard tombe sur un autre objet : un carnet en cuir, à moitié brûlé. Des pages noircies, mais une encore lisible. Le coin porte un nom.

*Clara M. – « Si je disparais, c'est qu'il a gagné. »*

Je tombe à genoux, le souffle coupé. Le doute devient certitude. Damien cache bien plus qu'un rachat stratégique. Il est au centre d'un secret bien plus sombre.

Et moi, je suis au cœur de ce piège.

                         

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