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- Ne touche à rien, ces objets valent plus que ce contrat que tu as signé.
Je sursautai. Sa voix, froide et autoritaire, claqua dans le hall comme un ordre militaire. Mes doigts, suspendus au-dessus d'une sculpture de verre taillée en forme de phoenix, restèrent figés. Je me retournai lentement. Damien se tenait dans l'embrasure de la porte, costume impeccable, regard perçant.
- Tu fais visiter le musée ou tu m'enfermes directement dans la vitrine ? lançai-je d'un ton mordant.
Il ne répondit pas. Il s'avança, mains croisées dans le dos, comme s'il inspectait un investissement incertain. Mon cœur cognait fort. Ce manoir... c'était un piège doré, chaque recoin brillait, chaque silence pesait. Les murs semblaient entendre. Les tapis assourdissaient mes pas mais pas mes doutes. Tout ici respirait la puissance. Et moi, je n'étais rien de plus qu'un trophée d'affaires.
- Ta chambre est à l'étage. Troisième porte à droite. Ne te perds pas, ajouta-t-il avant de tourner les talons.
- Tu ne comptes pas me faire le tour du propriétaire ? Après tout, je suis ta femme.
Il s'arrêta net. Son dos se tendit.
- Je ne joue pas à la comédie. Tu n'es pas ici pour ça.
Je haussai les sourcils.
- Ah bon ? Pourtant, tu as bien mis un diamant sur mon doigt devant une centaine d'invités.
Il pivota lentement vers moi. Son regard s'enfonça dans le mien, tranchant.
- Tout est image, ici. Tu ferais bien de t'en souvenir.
Je sentis une bouffée d'humiliation me remonter à la gorge, mais je la ravalai. Ce n'était pas le moment de montrer mes faiblesses.
- Alors sois clair, Damien. Qu'est-ce que tu attends de moi ? Un sourire factice à tes soirées ? Une épouse silencieuse ? Ou juste une signature sur tes documents fiscaux ?
Il s'approcha. Trop près. Mon souffle se suspendit. Son parfum, boisé et froid, m'assaillit comme un rappel brutal de notre contrat.
- J'attends que tu respectes les règles. Ne fouille pas. Ne parle à personne de ce qui se passe ici. Et surtout, ne tente pas de m'analyser. Ce n'est pas une histoire d'amour. C'est une transaction. Garde ça en tête, et tu survivras à ces deux années.
- Et après ? On arrache le contrat comme une vieille page de journal ? On fait comme si rien n'avait existé ?
Un rictus ironique effleura ses lèvres.
- Il se pourrait que tu n'existes déjà plus pour moi. Ce serait plus simple.
Il partit sans un mot de plus, me laissant plantée là, le cœur écrasé par sa dernière phrase. Je montai les escaliers comme on monte à l'échafaud, et ouvris la porte de "ma chambre".
Un lit immense, des draps brodés, un dressing plus grand que mon ancien appartement. Mais aucune chaleur. Pas un seul objet personnel. Tout sentait la mise en scène. J'étais une étrangère dans un décor parfait. Je posai ma valise sur le lit sans m'asseoir, comme si ce luxe allait me brûler.
- Madame ?
Je me retournai brusquement. Une femme en uniforme se tenait à l'entrée, droite comme une statue.
- Je suis Léa, responsable du personnel. Voici l'emploi du temps de la maison. Le petit-déjeuner est servi à sept heures précises. Monsieur Black n'aime pas le retard. Les repas sont pris séparément sauf indication contraire. Les sorties sont autorisées uniquement avec chauffeur. Des questions ?
Je pris le papier sans répondre. Elle fit une légère révérence et disparut. Pas un sourire. Pas un mot aimable. Juste le protocole.
Je me laissai tomber sur le lit, le visage entre les mains. Chaque fibre de moi criait l'envie de fuir. Mais il y avait mon père. Sa dette. Ce contrat. Ce cauchemar.
Je restai allongée un long moment avant de me lever pour me changer. Il y avait un dîner de charité ce soir-là. Première apparition officielle en tant que Madame Black. Et même si je brûlais de colère, je devais tenir mon rôle.
Lorsque je descendis dans le hall, Damien m'attendait déjà. Costume noir, regard indéchiffrable. Il ne fit aucun commentaire sur ma robe, pourtant sublime, choisie pour lui plaire malgré moi. Il se contenta de tendre le bras.
- Tu sais sourire ? demanda-t-il sans humour.
- Et toi, tu sais dire "merci" ?
Il eut un léger sourire sarcastique.
- Dommage. On aurait presque dit une vraie épouse.
La voiture glissa dans la nuit, silencieuse. Mon reflet dans la vitre me renvoyait l'image d'une femme étrangère à elle-même. Quand je tournai la tête vers Damien, il écrivait un message sur son téléphone. Aucune émotion. Rien. Un mur.
- Tu comptes me garder comme un meuble de luxe ou j'aurai droit à des conversations de temps en temps ?
Il releva lentement les yeux.
- Tu veux qu'on parle de quoi, exactement ? De ton père qui m'a vendu sa fille ? De cette mascarade de mariage ? Ou de ton regard quand tu m'as dit "oui", comme si tu signais ton arrêt de mort ?
Je mordis ma lèvre. Il m'avait observée, donc. Plus que je ne l'aurais cru.
- Tu n'es pas le seul à porter un masque, Damien. Laisse-moi au moins garder le mien intact.
Il ne répondit pas.
Au gala, les regards se posèrent sur nous comme des projecteurs. Il tenait ma taille avec une aisance presque naturelle, mais ses doigts me frôlaient à peine. Il jouait son rôle à la perfection. Moi aussi.
- Vous êtes rayonnante, Madame Black. Quelle chance vous avez.
- Oui, une chance... unique, répondis-je sans ciller.
Damien se pencha à mon oreille.
- Moins tu parles, moins tu risques de dire quelque chose de stupide.
Je me figeai. Ce n'était pas une menace. C'était une stratégie.
Plus tard, tandis que je m'éclipsai aux toilettes, je surpris une conversation dans le couloir.
- Tu l'as vue, sa nouvelle femme ? On dirait une poupée. Belle, mais vide.
- Et docile. C'est tout ce qu'il demande.
Je respirai lentement, tentant d'ignorer la colère. J'étais bien plus qu'un objet. Mais ici, ma voix n'avait aucun poids.
Lorsque je revins, Damien m'attendait, un verre à la main. Il observa mon visage un instant.
- Tu as entendu quelque chose ?
Je fronçai les sourcils.
- Tu places des micros, maintenant ?
- Ton regard crie plus fort que ta bouche. Attention à ça.
Je haussai les épaules.
- Tu veux que je devienne invisible ?
- Non. Je veux que tu sois parfaite. C'est le minimum.
Le retour au manoir fut silencieux. Une tension étrange me collait à la peau. Lorsque je voulus rentrer dans ma chambre, il m'arrêta.
- Ce n'est pas ce que j'ai demandé.
- Quoi encore ?
Il s'approcha. Ses yeux fixaient les miens avec une intensité dérangeante.
- Si tu veux survivre ici, il va falloir que tu comprennes quelque chose : ce n'est pas toi contre moi. C'est toi contre toi-même. Et je ne suis pas ton ennemi... tant que tu ne deviens pas un problème.
Je le fixai sans ciller.
- Tu crois que je vais m'écraser ? Te supplier ? Ce n'est pas parce que tu possèdes tout que tu peux posséder ce que je suis.
- Tu t'enflammes vite... C'est dangereux, ce genre de feu.
Il me laissa sur ces mots, comme un poison lent. Je refermai la porte de ma chambre, le cœur en vrac. Il m'attirait. Diablement. Et je le haïssais pour ça.
Je posai une main sur ma poitrine. Ce n'était pas normal. Ce trouble. Cette confusion. C'était un jeu dangereux... et j'étais déjà en train de perdre.