Chapitre 3 Chapitre 3

- Redresse les épaules. Et souris, au moins pour la photo.

Je pivote vers Damien, les mâchoires serrées. Il ne me regarde même pas. Ses yeux sont fixés droit devant, sur les objectifs, les flashs, la foule d'invités guindés qui se pressent pour saluer l'homme d'affaires intouchable et son épouse contractuelle. Mon sourire est un rictus douloureux que je force, tout en me demandant combien d'années je vais pouvoir jouer ce rôle sans imploser.

Les journalistes nous mitraillent. L'événement est mondain, organisé par l'un des partenaires de Damien, un certain Lewis Crawford, mais tout semble orchestré pour montrer au monde que Damien Black est un homme respectable, puissant et marié. Son bras est posé contre le bas de mon dos, trop possessif pour être purement protocolaire.

- Tu pourrais arrêter de me toucher comme si j'étais ta propriété ? soufflé-je, sans bouger les lèvres.

Il me jette un regard en biais, à peine un frémissement de sourire.

- Et toi, arrêter de jouer les épouses indociles en public ?

Il s'éloigne avant que je puisse répliquer. Je reste figée quelques secondes, entourée de gens riches et élégants, mais je me sens aussi seule que dans une pièce vide. Mon regard balaye la salle. Un bal silencieux de masques et d'ambitions. Ici, tout le monde veut quelque chose. Une alliance, un contrat, un secret. Et je suis devenue un de ces secrets.

- Vous devez être madame Black.

Je me retourne. Un homme d'une quarantaine d'années, costume gris perle, sourire poli mais regard trop incisif, me tend une coupe de champagne. Je la prends, méfiante.

- On dirait que cette soirée n'est pas à votre goût, continue-t-il en scrutant mon visage.

- Je m'adapte, dis-je prudemment.

- M'adapter. C'est exactement ce que disait votre mère, elle aussi, à l'époque.

Je manque de lâcher ma coupe. Il boit une gorgée, comme si sa remarque était anodine.

- Pardon ? Vous connaissiez ma mère ?

Il incline légèrement la tête.

- Vous ressemblez à elle. Dans les yeux surtout. Elle aussi, elle avait ce regard qui cherchait à comprendre ce que les autres cachaient.

Il recule d'un pas, puis me lance par-dessus son épaule :

- Méfiez-vous de Damien. Tous les contrats ont un prix. Et certains ne sont jamais soldés.

Je veux le rattraper, l'interroger, mais une main m'attrape par le poignet.

- Qu'est-ce que tu fais ?

Damien est revenu, son regard noir fixé sur moi comme s'il avait tout entendu.

- Qui était cet homme ?

- Un invité, un homme qui dit avoir connu ma mère. Il m'a parlé de toi. Il a insinué...

Je me tais. Je n'ai aucune preuve. Juste des mots suspendus comme des lames dans l'air.

- Tu n'es pas ici pour fouiller dans mon passé, souffle Damien, glacial. Tu es ici pour jouer ton rôle.

- Et si ce rôle m'étouffe ? Si je veux savoir pourquoi tu as été impliqué dans la ruine de ma famille ?

Ses yeux se plissent, l'ombre d'un avertissement dans sa voix.

- Ce n'est pas le lieu.

Il m'entraîne dans une autre salle, loin de la foule, et referme la porte derrière nous. Son ton devient tranchant.

- Je t'ai dit une fois de ne pas poser de questions que tu ne veux pas entendre. Ce n'était pas une métaphore.

- Et moi, je t'ai dit que je ne suis pas une poupée que tu peux exhiber pour redorer ton image !

Je m'approche de lui, défi dans les yeux.

- Tu caches quoi, Damien ? Pourquoi cet homme me dit de me méfier de toi ? Qu'as-tu fait à ma mère ?

Il me regarde comme s'il pesait chaque mot, chaque pulsation.

- Rentre au manoir. Maintenant.

Je refuse de bouger.

- Réponds-moi, ou j'irai fouiller moi-même.

Le silence est brutal. Puis, il sourit, froidement.

- Très bien. J'espère que tu es prête à assumer les conséquences de tes curiosités.

La poignée est froide entre mes doigts. Le bureau de Damien est verrouillé. Bien sûr. Mais il a laissé le double dans la bibliothèque, derrière un exemplaire de *L'Art de la Guerre* - une cachette trop classique pour être sérieuse. Sauf si on pense que personne n'oserait y toucher.

Je pénètre dans la pièce. Mobilier sombre, odeur de cuir et de pouvoir. Je cherche un indice, un dossier, un journal. Il y a un tiroir dissimulé sous la table. Je l'ouvre.

Des lettres. Anciennes. Une signature familière : le nom de ma mère.

Je les effleure, incrédule. Elle écrivait à Damien. Il répondait. Ils se connaissaient. Avant ma naissance.

Une phrase m'arrache l'oxygène : * »Tu avais promis de ne jamais mêler ma fille à tout ça. »*

Je n'ai pas le temps de lire plus. La porte claque derrière moi.

- Félicitations. Tu viens officiellement de franchir la ligne.

Je me retourne d'un bond. Damien est là, dans l'ombre, la mâchoire tendue, les bras croisés.

- Tu me dois des explications, balbutié-je. Tu connaissais ma mère. Tu lui as fait du mal.

Il s'avance lentement, menaçant sans lever la voix.

- Ce bureau est interdit. Et tu viens de prouver que tu ignores les règles quand elles t'arrangent.

- Tu m'as menti depuis le début, Damien !

Il me prend le poignet. Pas fort. Mais assez pour me figer.

- Ce n'est pas une question de mensonge. C'est une question de survie. Tu veux jouer à ce jeu ? Très bien. Mais je t'avertis, ce que tu cherches à découvrir pourrait te détruire bien plus que moi.

- Alors dis-le-moi.

Je le défie du regard. Il me relâche et murmure :

- Tu crois que ton mariage est un mensonge ? Tu n'as encore rien vu. Repose ces lettres. Et n'y reviens plus.

- Ou sinon ?

Il se penche, si proche que je sens sa respiration contre mon front.

- Ou tu verras de quoi je suis capable quand je protège ce qui m'appartient.

- Je ne t'appartiens pas.

Un silence tranchant.

- Non. Mais ton silence, oui.

Il se retourne et sort. Je reste là, le cœur battant, les lettres toujours dans la main. Mon regard se pose sur la dernière ligne de la page.

* »Ne laisse jamais notre passé détruire son avenir. »*

Et soudain, je ne sais plus qui je dois croire.

            
            

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