Chapitre 4 Le Silence des Mères, le Cri des Filles

L'enterrement s'était déroulé dans un calme pesant, une solennité endeuillée, sans que nul ne puisse véritablement comprendre ce qui avait conduit Kerlin à une mort aussi brutale. Le mystère planait comme un nuage noir au-dessus de Ruuga. Seuls Dieu, les esprits anciens et les clairvoyants auraient peut-être pu lever le voile sur cette tragédie.

Il ne restait à présent qu'elles deux : Astrale et sa fille Rhilane. Deux cœurs battant dans une maison soudain trop grande, trop vide.

Un mois plus tard, Astrale prit une décision ferme. Elle allait quitter le village de son défunt époux pour se réfugier en ville, dans un nommé Ligal . Elle se répétait en silence, le cœur serré : « À quoi bon rester là, là où tout me rappelle l'absence ? »

Bien que Kerlin ait laissé derrière lui assez de biens pour assurer leur subsistance, Astrale ne supportait plus le poids des souvenirs, ni les regards compatissants et murmurants des villageois. Elle voulait un nouveau départ, loin du chagrin enraciné.

En septembre, la rentrée scolaire approchait à grands pas. Malgré le deuil, Astrale décida de maintenir Rhilane sur les bancs de l'école. Sa fille aimait apprendre, rêvait d'avenir, et Astrale savait que lui retirer cela reviendrait à lui voler ce qu'il restait d'enfance. Rhilane, enjouée, reprit le chemin de l'école, mais une question la rongeait : Où est papa ?

Chaque matin, chaque soir, la fillette posait inlassablement la même interrogation, les yeux pleins d'espoir. Elle ne comprenait pas. Son père, avec qui elle partageait tout - les voyages, les rires, les histoires du soir -, avait disparu sans laisser de mot. Le vide avait remplacé la chaleur.

Un samedi soir, alors que la maison baignait dans le calme et que la lumière du salon vacillait doucement sur les murs, Rhilane, jouant avec sa poupée, se leva d'un bond. Une pensée lui traversa l'esprit, soudaine, intense. Elle se dirigea vers la cuisine, là où sa mère s'affairait à préparer le repas du soir.

- Ma'a... dit-elle doucement, tirant sur le pagne de sa mère, s'il te plaît... sois franche avec moi. Juste pour ce soir.

Astrale s'arrêta net. Elle se retourna lentement, découvrant le visage sérieux de sa fille. Son cœur se serra.

- Ma fille... tu es mon trésor, mon étoile, mon unique. Je t'aime d'un amour que rien ne peut mesurer. Je t'ai toujours dit la vérité, toujours. Alors vas-y, parle.

Rhilane prit une inspiration, les mains croisées devant elle.

- Est-ce que papa est encore en vie ? demanda-t-elle. Cela fait longtemps qu'on ne l'a pas vu. Je veux le voir, maman.

Astrale sentit le monde se fissurer sous ses pieds. Elle s'agenouilla, attira sa fille contre elle, la serra de toutes ses forces, comme pour retenir l'inévitable.

Ses larmes coulèrent sans bruit.

- Pourquoi tu pleures, maman ? demanda Rhilane, inquiète. Je t'ai posé une question toute simple... Tu n'as pas besoin de pleurer pour ça.

Astrale, brisée, improvisa un mensonge doux, un voile sur la réalité.

- Papa est en voyage, ma fille. Il reviendra bientôt. Sois patiente, d'accord ? Je t'aime, et lui aussi ,il t'aime fort.

- D'accord Ma'a, répondit Rhilane avec innocence. Je t'aime. Et j'attendrai le retour de Pa'a, même longtemps !

Astrale, en larmes, changea de sujet pour préserver cette bulle fragile d'illusion.

- Et tes leçons, ma princesse ? Tu travailles bien ?

- Oh que oui, Ma'a ! Toutes mes leçons sont dans ma petite tête. Tu peux me poser des questions, je suis prête !

Astrale sourit à travers ses larmes.

- Bravo ma chérie... Un jour tu seras ministre ou docteure d'université, qui sait ?

- C'est possible, répondit Rhilane, pensive, mais parfois... c'est le destin qui joue avec la vie des gens. Et parfois c'est la nature. Quand je dis nature, je parle aussi de la société. N'oublie pas qu'on vit en Afrique, Ma'a.

Sa mère hocha la tête, émue par la maturité de son enfant.

- Tu as raison, ma fille... tu as entièrement raison.

Ce soir-là, dans cette maison à Ruuga, une mère luttait pour cacher l'ombre à sa fille. Et une enfant espérait encore que l'amour d'un père pouvait défier la mort.

            
            

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