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- Ce n'est pas mon sceau.
Luna jeta la tablette gravée sur le sol. Le bois se fendit net, révélant l'insigne prétendument incrusté à son nom, dans la même encre sombre que celle utilisée par les émissaires de la meute de l'Est. Faux. Grossier. Mais effroyablement crédible. Trop.
- Et pourtant, ton empreinte y est. Reconnue par deux des mages du Cercle, dit Alrik, le bras droit du doyen. Son regard brillait d'une satisfaction trop bien contenue.
- Ils mentent, cracha-t-elle.
- Ils n'ont pas d'intérêt à mentir, rétorqua une voix féminine, plus froide encore. Eira, la plus jeune des anciens. Elle croisa les bras, le menton haut. Tu es un mystère, Luna. Un mystère qui est arrivé avec des promesses et des catastrophes.
- C'est vous qui refusez de voir ce qui est là. Ce que je sens, ce que j'ai annoncé, ce que j'ai empêché.
- Ou ce que tu as feint d'empêcher, ajouta Alrik. Assez de demi-vérités. Le Conseil exige transparence et loyauté.
- Alors regardez-moi. Dans les yeux. Et osez dire que vous sentez la trahison en moi.
Un silence tendu. Aucun des anciens n'osa soutenir son regard plus d'un battement de cœur. Mais cela ne changeait rien. Les preuves avaient été disposées avec soin. La tablette, les lettres en parchemin, l'éclat d'un cristal de communication interdit, trouvé dans ses quartiers. Ils ne cherchaient pas la vérité. Ils cherchaient une coupable.
- Le Conseil a décidé de se réunir ce soir, déclara Eira. Pour un jugement. En présence du peuple. Tu auras la parole. Une seule fois.
Luna serra les poings.
- Où est Draven ?
- Il a été informé, répondit Alrik. Il ne s'est pas encore exprimé.
Elle le trouva seul, dans la pièce haute, là où l'air sentait encore les braises de l'affrontement de la veille. Il ne se retourna pas quand elle entra.
- Tu sais que c'est un piège, dit-elle.
- Je sais que c'est une spirale. Tout ce que tu fais, tout ce que tu dis, les enferme davantage dans la peur.
- Et toi ? Tu les suis ?
Il inspira lentement, les mains jointes dans le dos.
- Je suis l'Alpha. Je ne me jette pas dans le feu pour une vérité que personne d'autre ne voit.
- Tu ne veux pas la voir, c'est différent.
Elle s'approcha de lui, jusqu'à frôler ses omoplates de ses doigts.
- Je t'ai sauvé. Deux fois. J'ai pris des risques que même tes fidèles refusaient de prendre.
- Et tu crois que cela suffit à faire disparaître l'ombre qui t'accompagne ? À effacer ce qu'ils croient avoir vu ?
- Tu ne vas pas me défendre, n'est-ce pas ?
Il se tourna alors. Lentement. Et dans ses yeux, il n'y avait ni rage ni loyauté. Juste ce doute qui creusait depuis le premier jour.
- Si je prends ta défense... je m'écroule avec toi. Et alors, qui tiendra la meute debout ?
La claque fut silencieuse, mais violente. Luna recula, le souffle court.
- Tu as peur de tomber, mais tu ne vois pas que tu perds ton humanité pour rester debout.
- Tu n'es pas une victime innocente, Luna. Tu es un catalyseur. Et les catalyseurs... brûlent tout ce qu'ils touchent.
Elle sourit tristement.
- Et pourtant, tu es lié à moi. Qu'est-ce que ça dit de toi ?
Il ne répondit pas. Il ne la retint pas non plus.
Le Conseil fut réuni au crépuscule. Tous les regards convergèrent vers la pierre centrale, où Luna fut amenée, entravée par une simple chaîne de fer cérémoniel. Symbolique. Humiliante.
Draven siégeait. Il n'avait pas revêtu sa cape d'Alpha. Simple tunique. Neutre. Froid. Loin.
- Luna du sang oublié, dit Eira en se levant. Tu es accusée d'avoir communiqué avec les ennemis de la meute, d'avoir facilité leur infiltration, et d'avoir utilisé tes dons pour manipuler nos défenses à ton avantage.
- Je suis aussi accusée d'avoir prévenu deux attaques et sauvé la crypte ancestrale, répondit-elle d'une voix calme.
- Tu auras la parole pour ta défense, confirma Alrik. À toi de prouver ton innocence.
Luna tourna sur elle-même, face à la foule. Des visages qu'elle connaissait. Certains reconnaissants. D'autres méfiants. Beaucoup fermés.
- Je suis arrivée ici sans choix. La prophétie m'a liée à lui, mais elle ne m'a jamais dit ce que je devais être. J'ai appris seule. J'ai senti l'ombre venir. J'ai choisi de l'affronter, même sans votre confiance. Et voilà où j'en suis.
Elle désigna les preuves posées sur l'autel.
- Vous appelez ça des certitudes ? Alors je vous demande : qui, dans cette salle, a déjà vu un cristal de transmission intact dans mes quartiers avant aujourd'hui ? Qui m'a vue écrire à la meute de l'Est ? Qui m'a vue trahir ? Qui peut lever la main et jurer l'avoir vu de ses yeux ?
Personne ne bougea.
- Vous n'avez rien. Rien que le poids de votre peur. Et vous cherchez une cible plus facile que vos propres manquements.
- Le cristal a été reconnu par deux témoins, insista Alrik.
- Des témoins que vous avez choisis. Des mages que vous contrôlez. Où est l'indépendance dans ce jugement ?
Eira se leva de nouveau.
- Le jugement n'est pas un combat verbal, Luna. La décision a été prise. Tu seras bannie.
Un cri s'éleva dans la foule. Une vieille femme. Une guérisseuse. Elle tenta de parler, mais fut aussitôt réduite au silence par deux gardes.
Luna se tourna une dernière fois vers Draven.
- Tu ne dis rien ?
Le silence qu'il lui offrit fut plus tranchant que toutes les accusations.
Alors elle se redressa.
- Très bien. Exilez-moi. Mais souvenez-vous de ceci : je suis la seule à avoir vu venir ce qui vous frappe. Et quand l'ombre reviendra, elle ne frappera pas vos murs. Elle visera votre cœur.
On la traîna hors de la salle. Personne ne bougea.
Sauf Draven. Mais trop tard.
Elle ne se retourna pas. Elle ne pleura pas.
Mais au fond d'elle, quelque chose se brisa. Et ce n'était pas le lien.
C'était la foi.