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- Je n'irai pas devant lui comme une servante soumise.
Luna résista à l'étreinte ferme des deux gardes, son regard accroché à celui de l'intendant. L'homme, raide dans sa tenue noire brodée de fils d'argent, ne cilla pas.
- Ce n'est pas une audience, dit-il. C'est une convocation. L'Alpha a parlé.
Elle serra les dents. Chaque fibre de son être criait qu'elle ne devait pas le rencontrer ainsi. Pas maintenant. Pas alors que son cœur portait encore l'écho brûlant de la prophétie. Pas alors que ses jambes tremblaient de l'avoir senti, la nuit dernière, dans ce rêve... ou cette vision. Ce lien. Ce poison doux et irrésistible.
- Très bien. Mais je ne me prosternerai pas.
Le silence fut son seul accord. Les portes s'ouvrirent devant elle, hautes, lourdes, sculptées de symboles anciens qu'elle reconnaissait sans les comprendre. Le couloir menait à une salle vide, si ce n'est pour la silhouette debout au fond, devant un vitrail éclaté de lunes et de loups.
Draven.
Il ne se retourna pas.
- Tu es arrivée plus vite que je ne l'espérais, dit-il calmement.
La voix était grave, posée, mais chaque syllabe vibrait d'un pouvoir brut. Luna sentit ses muscles se raidir.
- Je n'ai pas eu le choix, murmura-t-elle.
- Voilà qui commence bien.
Il se tourna lentement, révélant des yeux d'un gris si clair qu'ils en devenaient presque transparents. Aucune chaleur. Aucune surprise.
- Alors, tu es celle que le destin m'impose.
Luna redressa le menton.
- Et vous êtes celui qui refuse de croire à ce destin.
Un silence tendu s'étira. Draven s'approcha de quelques pas. Il était grand, solide, les traits taillés avec une précision presque cruelle. Il ne portait pas de couronne, mais son regard pesait plus lourd que n'importe quel ornement.
- Je sens... quelque chose, dit-il, presque avec dégoût. C'est faible. Lointain. Mais c'est là.
Elle inspira lentement, tentant de maîtriser le rythme de son cœur. Il était trop près. Elle ne voulait pas qu'il sente sa peur.
- Ce n'est pas faible, Draven. C'est vous qui résistez.
Il arqua un sourcil.
- Tu m'appelles déjà par mon prénom. Comme si tu me connaissais.
- Je vous ai vu. Avant même cette nuit.
Un tressaillement, imperceptible. Il pencha légèrement la tête.
- Dans un rêve ?
- Dans une vision. Quand la prophétie m'a été lue.
- Ah. Cette fameuse prophétie. Cette absurdité que les prêtresses se transmettent comme un virus. Et te voilà. Un effet secondaire.
Luna sentit une colère froide lui monter aux lèvres.
- Vous pouvez me mépriser autant que vous le voulez. Cela ne changera pas ce qui nous lie.
Il fit encore un pas. Plus proche. Trop proche. Elle voulut reculer, mais ses jambes refusèrent de bouger.
- Et que crois-tu que nous lie exactement ?
Sa voix n'était plus qu'un souffle. Pourtant, elle lui traversa la peau comme une lame. Il leva une main, et ses doigts frôlèrent à peine sa joue. Un contact infime.
Elle eut un soubresaut.
Le frisson fut violent, profond, venu du plus intime. Un éclair de chaleur irradia son ventre, monta jusqu'à sa gorge. Elle lâcha un souffle tremblant.
- Vous avez senti ? murmura-t-elle, la voix fêlée.
Draven recula brusquement, comme brûlé. Il la fixa, les traits figés.
- Ce n'est rien. Un réflexe du corps. Une... illusion hormonale.
Elle éclata d'un rire amer.
- Vous niez même votre propre peau.
Il serra les poings.
- Tu crois que je vais m'agenouiller devant une étrangère sortie des bois parce que mon cœur rate un battement en sa présence ? Que je vais croire à cette... mascarade parce qu'un ancien texte a écrit ton nom dans le vent ?
- Non, répondit-elle froidement. Je ne veux pas que vous vous agenouilliez. Je veux que vous ouvriez les yeux.
Il se détourna, brusquement, frappant de sa paume le pilier de pierre à sa gauche. Un bruit sec résonna dans la salle.
- Je n'ai pas besoin d'un lien. Je n'ai pas besoin de toi.
- Et pourtant, me voilà.
Un autre silence. Pesant. Il respirait fort, les épaules tendues. Quand il se retourna, ses yeux n'étaient plus froids. Ils brûlaient.
- Tu ne sais pas ce que tu réveilles.
- Alors dites-le-moi.
Il marcha vers elle, cette fois sans hésitation. Son corps tout entier semblait tendu, contenu. Il s'arrêta à un souffle de son visage.
- Tu veux la vérité ? Très bien. Il y a huit ans, j'ai aimé. Follement. J'ai cru en une autre promesse, une autre prophétie. Et j'ai tenu son cadavre dans mes bras avant de le brûler moi-même. Depuis, je ne crois plus aux signes, aux appels, ni aux visions. Je crois au sang. À la loyauté qu'on exige, pas qu'on implore.
Elle sentit la morsure de ses mots comme un fouet. Mais elle ne fléchit pas.
- Je ne suis pas elle.
- Mais tu pourrais être pire.
- Et si je vous sauvais ?
Il eut un rire sans joie.
- Je n'ai pas besoin d'être sauvé.
Elle leva la main. Lentement. Et posa ses doigts contre sa poitrine. Juste là, au-dessus du cœur. Il ne bougea pas. Mais elle sentit le battement, rapide, violent.
- Alors expliquez-moi pourquoi ce cœur vous échappe.
Le souffle de Draven devint plus profond. Il ne l'écarta pas. Il ne toucha pas sa main non plus.
- Tu es un danger.
- Je suis votre vérité.
- Tu es un choix que je n'ai jamais voulu.
- Et pourtant, vous devrez me faire face.
Il ferma les yeux un instant. Puis se détacha brutalement.
- Tu restes ici. Une chambre t'attend. Tu n'as pas le droit de quitter le domaine sans ma permission.
Elle le fixa, stupéfaite.
- Vous me gardez prisonnière ?
- Je t'observe.
- Et si je m'en vais malgré tout ?
Il ne répondit pas. Se contenta de tourner les talons, sa cape battant dans l'air comme une aile sombre. La porte claqua derrière lui.
Luna resta seule. Le cœur en tempête. Le bras encore tendu vers un homme qui refusait de voir. Mais elle l'avait senti. Sous sa froideur, sous la peur. Le lien.
Il était là. Vivant. Et il allait les consumer.