/0/24458/coverbig.jpg?v=4488505cb7ba186aa5f754582ecabb36)
- Les murs ont sauté.
La voix du messager était rauque, essoufflée, les yeux fous. Il s'écroula à genoux devant Draven, le sang coulant de sa tempe.
- Quelle zone ? demanda Draven d'un ton tranchant.
- Le flanc Est. Les réserves... en feu. On dirait un sabotage. On... on n'a rien vu venir.
Un grognement sourd se répercuta dans la salle. Un frisson remonta l'échine de Luna. Elle se tenait à l'arrière, observant l'agitation, les guerriers qui s'armaient, les éclaireurs qui disparaissaient à toute vitesse. Le tumulte montait. Mais dans sa poitrine, c'était une autre pression qui s'amplifiait. Quelque chose d'invisible. Un écho.
- Ce n'est pas une attaque de territoire, murmura-t-elle.
Personne ne l'écoutait. Elle s'avança.
- Ce n'est pas une attaque de territoire ! cria-t-elle.
Tous les regards se tournèrent. Draven s'approcha, les mâchoires serrées.
- Tu crois en savoir plus que mes sentinelles ?
- Ce n'est pas ce que je pense. C'est ce que je sens.
Il la fixa, sans bouger. Autour d'eux, les ordres fusaient, les hurlements de loups résonnaient déjà à l'extérieur.
- Parle, ordonna-t-il.
- Ce feu... il est placé. Pensé. C'est une diversion. L'attaque réelle... elle vient d'ailleurs. Elle vient bientôt. Ce n'était qu'un premier coup.
- Basé sur quoi ?
Elle plaça une main sur sa poitrine.
- Sur ce que je suis.
Un silence étrange tomba. Quelques murmures fusèrent. Draven se pencha.
- Si tu cherches à manipuler la peur pour t'imposer ici...
- Je ne cherche rien ! coupa-t-elle. Mais si vous ignorez cet avertissement, vous paierez bien plus que du bois et des vivres.
- Tu parles comme une prophétesse. Mais je n'ai jamais vu une prophétesse sortir du sang.
Luna recula d'un pas, heurtée. Elle inspira, ravalant le feu de sa gorge.
- Envoyez des hommes au Nord. Discrètement. Là où le vent ne porte pas l'odeur des cendres. Vous verrez.
Draven ne répondit pas immédiatement. Puis, sans un mot, il fit signe à un guerrier.
- Infiltration discrète. Deux éclaireurs. Nord. Restez à l'affût. Si elle se trompe... je veux un rapport avant l'aube.
Le guerrier hocha la tête et disparut.
Luna croisa brièvement le regard de Draven. Il ne la croyait pas. Mais il doutait, et c'était déjà une victoire.
La nuit tomba, lourde et rapide. La tension s'épaissit dans le domaine comme un nuage de poudre. Des rumeurs de trahison circulaient. Certains disaient que l'attaque était un message d'une meute rivale, d'autres parlaient de magie noire, d'un pacte oublié.
Luna errait dans le couloir, pieds nus, incapable de trouver le repos. Quelque chose bougeait dans l'air. Une présence. Lointaine. Une haine sans visage.
Elle s'arrêta brusquement, la main plaquée contre le mur. Son souffle s'étrangla.
- Ça recommence.
Une vision fulgurante lui traversa les yeux. Des loups hurlants. Une brèche ouverte dans une muraille. Et cette odeur. La même que dans la vision de son exil. Du fer, du sang, de la peur.
Des pas résonnèrent derrière elle.
- Tu fais fuir les servantes, dit une voix familière.
Draven.
- Si elles ont peur de moi, c'est parce qu'elles sentent ce que toi tu refuses d'admettre.
- Ce que je refuse d'admettre me garde vivant.
Il s'approcha, son ombre avalant la lumière des torches.
- Et qu'as-tu vu, cette fois ?
- Une attaque. Pas sauvage. Calculée. Ils savent où frapper. Ils attendent que vous envoyiez trop d'hommes dans la mauvaise direction. Ensuite, ils frapperont le cœur.
- La salle du Conseil.
Elle hocha la tête.
- Ou toi.
Il plissa les yeux.
- Pourquoi maintenant ? Pourquoi toi ?
- Parce que je suis le maillon oublié. Personne ne me voit venir. Même pas toi.
Un éclaireur surgit, haletant.
- Seigneur ! Ils approchent par le Nord. Deux dizaines au moins. Organisés. En silence.
Draven se tourna lentement vers Luna.
- Tu l'avais vu venir.
- Je l'ai senti. Et ce n'est pas fini.
Elle pointa le sol.
- Ils vont ouvrir un passage. Par en dessous.
Un rugissement monta de la gorge de Draven. Il se retourna.
- Cloisonnez les souterrains. Envoyez la garde d'élite dans les galeries. Qu'on me trouve le maître architecte, tout de suite !
Puis il s'approcha de Luna, plus lentement.
- Si tu manipules les signes pour te faire passer pour un atout...
Elle le fixa dans les yeux.
- Alors tu peux m'abattre.
Il ne répondit pas. Mais il ne s'éloigna pas non plus.
L'attaque du Nord fut contenue. À l'aube, cinq ennemis morts, huit capturés. Aucun blason. Aucun mot.
Mais dans les souterrains, une cloison effondrée révéla une tranchée fraîchement creusée, à deux mètres de la crypte du Conseil.
Luna n'en tira aucune fierté.
Elle observait les cadavres sans plaisir. Quelque chose clochait. Les assaillants portaient des traces d'enchantement. Leurs yeux vides semblaient... manipulés.
Draven s'approcha.
- Ils n'ont pas parlé.
- Parce qu'ils n'étaient pas là pour survivre.
Il hocha la tête.
- Tu avais raison.
Elle détourna les yeux.
- C'est pas moi qu'ils écoutent. C'est le lien.
Il se pencha.
- Ce lien me met mal à l'aise.
- Parce qu'il te montre ce que tu veux enterrer.
Un long silence s'installa. Puis Draven parla, à voix basse.
- Si tu n'étais pas toi... je t'aurais déjà placée sous clé.
Elle sourit, sans joie.
- Et pourtant, je suis la seule à voir l'ombre venir.
- Alors reste près de moi. Jusqu'à ce qu'on découvre d'où elle vient. Et qui l'a envoyée.
Elle le regarda, interdite. Était-ce un ordre ou une demande ?
- Je reste, dit-elle.
Mais au fond d'elle, une certitude lui broyait la poitrine : ce n'était que le début.
- Elle savait. Trop de choses, trop vite.
La voix du plus âgé des anciens claqua dans la salle du Conseil, épaisse d'encens et de soupçons. Luna, debout au centre, sentit la morsure de leurs regards, acérés comme des crocs.
- Elle les a sentis avant qu'ils frappent, reprit un autre. Avant même que nos sentinelles perçoivent la moindre alerte.
- Elle a sauvé la meute, souffla Draven.
- Ou elle a mis en scène l'attaque pour gagner votre faveur.
Luna ne bougea pas, mais à l'intérieur, la colère montait, froide et profonde.
- Si j'avais orchestré quoi que ce soit, je ne me tiendrais pas ici, à subir vos accusations, murmura-t-elle.
- Justement, dit une voix sifflante. Qui d'autre aurait intérêt à paraître indispensable, sinon celle que personne n'attendait ?
Draven se leva brusquement.
- C'est absurde. Vous voulez brûler l'arme juste après qu'elle vous ait protégé ?
- Nous voulons comprendre, rétorqua le doyen. Une étrangère, sortie d'une prophétie oubliée, liée à vous sans preuve autre qu'un frisson... Et maintenant, elle anticipe nos ennemis mieux que nos sentinelles. Cela mérite des questions.
- Alors posez-les à moi, dit Luna d'une voix calme. Pas à travers vos murmures.
Un silence s'installa, pesant.
- As-tu eu contact avec une force extérieure ? demanda un ancien.
- Jamais.
- Sais-tu qui sont ces assaillants ?
- Non. Mais je les reconnaîtrai quand je les reverrai.
- Comment ?
Elle les regarda tous.
- Parce que la même ombre est déjà venue pour moi... bien avant votre feu et vos soupçons.
Le doyen la fixa longuement.
- Nous la garderons sous surveillance.
- Elle reste avec moi, coupa Draven.
Et personne n'osa le contredire.