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Lorsque j'atteignis les Hautes Pierres, un ancien passage utilisé par les exilés et les vagabonds, je sus que le point de non-retour avait été franchi.
Je posai la main sur l'un des monolithes. Autrefois, il marquait la frontière entre les terres de la meute et celles des terres sauvages.
- Je ne suis plus à eux, murmurai-je.
Puis, j'entrai dans l'inconnu.
Une brise se leva, plus mordante. Je tirai ma capuche sur mes cheveux et resserrai ma prise sur la lanière de mon sac.
Mon cœur battait fort. Mais pas de peur.
D'excitation.
Je laissais derrière moi un nom, une robe, un futur écrit d'avance.
Et devant moi s'ouvrait un monde qui ne savait pas encore que Luna n'était plus une promesse déçue.
Mais une force qu'on ne pouvait plus enterrer.
Je n'avais pas fait trois pas dans l'obscurité avant d'entendre les premiers bruits de la traque. La forêt se tenait là, impénétrable, une silhouette noire contre le ciel lunaire, mais je savais qu'au-delà des arbres, les gardes se glissaient silencieusement, scrutant l'ombre. L'odeur de l'humus, le bruissement des feuilles – tout cela semblait déstabilisant, mais c'était plus que cela. C'était le vent du danger, un souffle qui me poussait à aller plus vite, plus loin. La peur ne m'avait jamais effrayée – la trahison, si.
Je forçai mes jambes à avancer, mes pieds foulant le sol avec un bruit étouffé. L'adrénaline pulsait dans mes veines, me donnant une énergie qu'aucun entraînement de la meute n'avait su m'offrir. Mais cette énergie me trahissait. Elle me poussait à me précipiter, à faire des erreurs.
Je m'arrêtai un instant, me pressant contre un tronc, les yeux scrutant les ténèbres autour de moi. Je pouvais entendre le cliquetis des armures, le souffle des chevaux se faufilant entre les arbres. Ils étaient proches.
Un éclair de mouvement dans l'ombre. Un garde. Je restai immobile, retenant ma respiration. Il passa à quelques pas seulement, les yeux rivés sur la forêt comme un prédateur, un Alpha en chasse. Mais il ne m'avait pas vue.
J'entendis un murmure, un cri lointain. Le cri de l'un de mes poursuivants qui avait repéré une fausse piste. Cela me donna un répit. Je pouvais m'échapper.
Je courus.
Les branches griffaient mes bras et mes jambes, mais je ne les sentais plus. La douleur n'avait plus de place. Le son des sabots, des voix, se perdait dans l'immensité de la forêt. Je savais que je devais les semer, les déstabiliser, pour avoir la moindre chance. La forêt me connaissait mieux que quiconque.
Une odeur étrange, douce et épicée, emplit soudain l'air. Une brume légère monta du sol, comme si le sol lui-même cherchait à me cacher. La forêt semblait réagir à ma présence. Mais elle n'était pas là pour m'aider. Non. Elle avait ses propres règles.
Je pris un virage abrupt, me retrouvant dans une clairière. La lune était haute, ses rayons frappant les pierres dans un éclat spectral. Et là, devant moi, se dressait un arbre plus vieux que tout ce que j'avais jamais vu. Une silhouette massive, tordue par le temps, ses racines s'enfonçant profondément dans la terre, son tronc entouré de symboles anciens. Des runes gravées dans l'écorce, aussi vieilles que la mémoire des meutes, aussi vieilles que les mystères eux-mêmes.
Un frisson parcourut mon échine. Je connaissais cet arbre. Il faisait partie des légendes que l'on murmurait aux enfants lors des veillées : l'Arbre des Anciens. Un lieu interdit, un endroit où ceux qui étaient trop curieux disparaissaient dans l'obscurité. Personne n'en parlait ouvertement, mais tout le monde savait que s'aventurer près de cet arbre, c'était risquer de franchir une frontière invisible entre ce monde et... un autre.
Mais je n'avais plus le choix.
Un cri perça la nuit, plus proche cette fois.
Je jetai un coup d'œil derrière moi. Une lueur rougeoyante brillait à l'horizon. Le feu de torches, probablement, des traqueurs. Je n'avais que quelques secondes avant qu'ils ne me retrouvent.
Sans réfléchir davantage, je m'élançai vers l'arbre. La brume se resserrait autour de moi, mais je ne ralentis pas. Si cette forêt avait une âme, alors c'était à elle de choisir si elle voulait me garder ou me laisser partir.
Je posai une main sur l'écorce rugueuse. Une onde de chaleur me traversa, non physique, mais... une sensation plus profonde. Comme si l'arbre avait pris un instant pour me sonder, pour évaluer qui je serais en tant qu'adversaire.
La brume s'épaissit autour de mes pieds, s'enroulant comme un serpent, m'incitant à avancer encore. Je le fis, sans hésiter, jusqu'à ce que je sois devant le tronc immense. Les symboles gravés dans l'écorce semblaient briller, presque vivants.
Soudain, une voix profonde, vibrante comme un grondement de terre, m'effleura l'esprit.
- Qui oses-tu déranger ce sanctuaire ?
Je retins un cri, mon cœur battant dans ma poitrine. Je savais ce que c'était, mais... je ne savais pas comment répondre.
- Je... je cherche la liberté, répondis-je, la voix tremblante.
La réponse me parvint dans un souffle.
- La liberté... Ce que tu cherches n'est pas ce que tu crois. Viens, si tu veux voir le prix de ta quête.
J'eus à peine le temps de réagir. Le sol sous mes pieds se déroba, et je tombai. La brume s'épaissit encore. Le vent hurlait autour de moi. Puis, tout devint noir.
Je m'éveillai dans un lieu qui n'était pas la forêt, mais un espace plus vaste, plus infini, comme un abîme entre deux mondes. J'étais assise sur une pierre, dans une vallée sombre.
Un éclat de lumière filtrait à travers un plafond invisible, mais il n'éclairait pas vraiment. Il semblait repousser la lumière, en faire une ombre. Un sol gris, recouvert de lichen, s'étendait à perte de vue. Il n'y avait pas de ciel ici. Pas d'horizon. Juste un vide oppressant.
Je me redressai, confuse, le cœur battant à tout rompre. Une silhouette émergea de la brume, une ombre vivante, plus grande que tout ce que j'avais vu. Son visage n'était pas humain, mais une chose étrange, comme une créature faite d'ombres et de lumière, d'anciennes formes déformées.
- Tu as franchi le seuil, murmura-t-il, sa voix se déployant dans mon esprit. L'arbre t'a choisie. Mais cela ne signifie pas que tu es prête.
Je n'eus pas le temps de répondre.
La créature fit un pas en avant. L'air autour de moi se tordit, la réalité elle-même semblant se distordre. Je n'étais plus sûre de ce qui était réel et ce qui ne l'était pas.
Il me regarda d'un œil pénétrant.
- Tu as rejeté les chaînes de ton passé, Luna. Mais tu vas devoir affronter ce qui se cache derrière.
Je ne savais pas si je devais fuir ou l'affronter. Mais une chose était certaine : je n'avais plus le choix.
Je fermai les yeux, tentant de reprendre le contrôle. Le sol sous moi semblait plus vivant, presque palpitant. Chaque battement de mon cœur résonnait dans l'air, mais une résonance étrange s'éveillait en moi, une vibration ancienne, presque oubliée.
Une chaleur douce se leva de mes pieds, me traversant lentement, lentement, jusqu'à chaque partie de mon être. Au début, c'était une sensation étrange, un frémissement léger, comme le vent caressant ma peau. Puis la chaleur s'intensifia, non pas comme un feu, mais comme quelque chose de plus subtil, d'une présence qui envahissait chaque fibre de mon corps.
Je respirai profondément, mon souffle s'accélérant alors que quelque chose d'invisible se déployait en moi. Comme un souffle de vie qui ne m'appartenait pas, un murmure dans le vent, une énergie qui palpitait au fond de mes veines.
Ce n'était pas de la peur. Ce n'était pas de la douleur. C'était une forme d'éveil, quelque chose qui avait toujours été là, en moi, mais que je n'avais jamais compris. Je me sentais connectée à la terre, aux racines qui s'enfonçaient profondément dans l'obscurité, aux éléments invisibles qui frôlaient la surface de l'air.