Chapitre 4 Chapitre 4 – Ils savent

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Le matin arriva sans lumière.

Les volets restèrent clos. La chambre baignait dans un gris sale, étouffé, et l'air sentait le linge propre, les médicaments et la peur.

Alina ouvrit les yeux lentement. Sa gorge était sèche. Ses membres, engourdis. Sa tête lui faisait mal comme si elle avait passé la nuit à hurler. Elle ne se souvenait de rien, ou presque. Des images floues. Un visage. Une voix. Une main froide sur la sienne.

Luka ? Un rêve ? Impossible à dire.

Elle tenta de se lever. Son corps protesta. Mais elle refusa de rester allongée.

Pas aujourd'hui.

Elle se traîna jusqu'au miroir de la salle de bain. Un fantôme la regardait en retour. Cernes violacés, pommettes creusées, cheveux en bataille. Elle ne s'était jamais sentie aussi loin d'elle-même.

Elle ouvrit le robinet. L'eau glacée la heurta en plein visage, et elle s'accrocha au lavabo comme à une bouée. Il fallait qu'elle tienne. Qu'elle comprenne. Qu'elle agisse.

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Quand elle sortit enfin de la chambre, le manoir était silencieux. Trop.

Personne dans les couloirs. Pas de majordome. Pas de bruit de pas. Pas même la radio classique qu'on entendait parfois dans les pièces du bas.

Elle descendit lentement, tenant la rambarde comme si ses jambes pouvaient céder à chaque instant.

Au salon, Luka était debout, dos à elle. Il parlait à un homme, plus petit, nerveux. L'homme tenait une tablette. Sur l'écran, des images floues. Vidéos de surveillance. Caméras de la rue.

- ...ils se sont arrêtés devant la grille à 4h12, disait l'homme. Deux minutes. Pas plus. Puis ils ont reculé. Éteint les phares. Et disparu.

- Ils testent les réactions, répondit Luka.

Il n'avait pas encore vu Alina. Sa voix était différente. Plus basse, plus contrôlée. Il n'était plus l'homme qui surveillait une femme fiévreuse. Il était redevenu ce qu'il était : un chef. Un stratège.

- Ils savent qu'elle est ici, ajouta l'autre.

- Ou ils s'en doutent.

- La voiture était volée. Plaques fausses.

Luka croisa les bras, silencieux.

- Et la maison ?

- Complètement détruite. On a retrouvé une signature thermique. Allumage au phosphore. C'est pro.

Alina sentit un vertige. Elle s'appuya contre le mur. Le parquet grinça. Luka se retourna.

Leur regard se croisa.

Il ne dit rien tout de suite. Juste ce regard fixe, froid, mais plus inquiet que les jours précédents.

- Tu ne devrais pas être debout.

Elle avança lentement.

- Qui sont-ils ?

Il jeta un œil à l'homme, qui comprit et s'éloigna sans un mot.

- Tu as de la fièvre. Repose-toi.

- Luka. Qui. Sont-ils.

Il hésita. Pas longtemps. Juste assez pour qu'elle comprenne que ce qu'il allait dire n'était pas toute la vérité.

- Un groupe qui fait partie de ce qu'on appelle "les marges". Pas les familles officielles. Pas ceux qui négocient. Des indépendants. Violents. Instables. Spécialisés dans la pression, l'enlèvement, les dettes extrêmes.

- Et mon frère...?

- A dû leur voler quelque chose qu'ils ne veulent pas perdre.

Elle sentit la nausée monter. Elle s'assit, là, sur le canapé.

- Ils veulent quoi, Luka ? Me tuer ? Me faire parler ? Me vendre ?

- Peut-être les trois.

Il dit ça comme une évidence. Comme on énonce une météo.

- Et toi ? Tu fais quoi ?

Il la fixa. Longuement.

- J'analyse. J'attends. Et je me prépare à riposter.

- Je ne veux pas mourir ici.

- Tu ne mourras pas ici.

Sa voix n'avait pas changé. Toujours aussi calme. Mais cette fois, il y avait une note métallique, une certitude froide qui transperçait.

- Je ne laisserai personne t'atteindre, Alina.

Elle ne répondit pas. Parce qu'elle ne savait plus quoi croire.

Et dehors, quelque part dans la ville, quelqu'un préparait déjà sa prochaine visite.

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