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Alina n'avait pas pleuré.
Pas encore. Pas tout de suite.
Elle était restée là, dans la chambre silencieuse, les photos de sa maison posées sur la table basse. Une des fenêtres carbonisées avait fondu, formant une tache noire sur la façade blanche. Elle reconnaissait la rambarde du balcon, penchée, cassée. La même où elle posait ses plantes, où elle fumait parfois en cachette quand tout allait de travers.
Elle aurait voulu sentir quelque chose. De la rage. De la peine. Du désespoir. Mais à la place, il n'y avait qu'un vide brûlant dans sa poitrine. Comme si les émotions avaient claqué la porte pour la laisser seule avec le bruit de son propre cœur.
Le choc, sûrement. Ou la fatigue.
Vers 16h, elle se coucha, sans fermer les yeux. Elle ne pouvait pas. Les murs lui semblaient trop blancs. L'air trop propre. Trop calme.
Elle pensa à Kyle. À son appel. À sa voix. À la panique. Et surtout, à ce mot qu'il avait laissé : pardon.
Elle n'avait pas besoin de plus. Ce pardon-là, elle le connaissait par cœur. Il l'avait dit cent fois. Et jamais au bon moment.
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La soirée tomba sans qu'elle s'en rende compte. Elle ne mangea pas. Ne bougea presque pas.
Vers 21h, elle sentit les premières sueurs froides. Son front était brûlant, mais ses mains glacées. Un frisson lui traversa l'échine, puis un autre, plus violent.
Elle pensa que c'était le choc.
Mais quand elle voulut se lever pour aller boire, ses jambes fléchirent.
Elle se rattrapa de justesse au meuble le plus proche. Sa vision se troubla. Le plafond vacilla. Son souffle devint court.
- Merde...
Elle atteignit le lit à l'aveugle, tomba plus qu'elle ne s'allongea. Le drap la recouvrit à peine. Elle avait chaud. Puis froid. Puis chaud à nouveau. Elle tremblait. Sa tête bourdonnait. Chaque respiration faisait mal.
Et elle comprit : elle faisait de la fièvre.
Une forte. Le genre qui vous brouille l'esprit, qui vous fait douter du réel. Tout son corps criait. Ses pensées devenaient floues, comme des bulles éclatées dans l'eau.
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Minuit passa.
Puis une heure.
Alina ne dormit pas. Elle était entre deux mondes - celui de la chambre, et un autre fait d'ombres et de souvenirs éclatés.
Elle revoyait le feu. Elle entendait des voix. Elle croyait percevoir des pas derrière la porte, des coups dans les murs, des éclats de rire.
Elle se redressa d'un coup, en sueur.
- Kyle...?
Rien. Juste sa propre voix, faible et rauque. Elle retomba sur l'oreiller, brûlante.
Puis la porte s'ouvrit.
Elle voulut se redresser. N'y parvint pas. Sa vue était trouble. Mais elle reconnut la silhouette. Grand, noir, silencieux.
Luka.
Il s'approcha du lit, la regarda sans dire un mot. Elle ne vit pas son expression, mais elle sentit un changement dans l'air.
Il posa le dos de sa main contre son front.
- T'as de la fièvre. Merde...
C'était la première fois qu'il jurait.
Il se pencha, sortit son téléphone, appela quelqu'un. Une voix masculine répondit. Médecin, sans doute. Luka parla vite, en italien. Puis il raccrocha.
- T'as besoin de repos, murmura-t-il.
Elle ne répondit pas. Elle ne savait même plus si elle était réveillée.
Il resta là, à côté du lit, assis sur la chaise près d'elle. Immobile. Surveillant sa respiration comme on surveille une bougie qui vacille.
- Tu tiens bon, Alina. Tiens bon.
Sa voix était plus douce. Presque... inquiète.
Mais elle n'en était plus sûre. Peut-être que c'était encore un rêve.
Dans le noir, elle sentit sa main effleurer la sienne. Pas pour la prendre. Juste pour s'assurer qu'elle était encore là.
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