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Elle resta assise des heures dans le salon, sans bouger.
Ni le silence, ni la douleur dans son crâne ne la dérangeaient vraiment. Ce qui l'épuisait, c'était l'absence d'issue.
Plus de maison.
Plus de frère.
Plus de monde à elle.
Tout ce qu'elle avait tenu à distance - les dettes de Kyle, les sales magouilles, les appels en pleine nuit - lui était retombé dessus comme un piège lentement refermé. Elle avait passé sa vie à recoller les morceaux, à croire qu'un jour, il changerait, qu'il arrêterait de courir après l'adrénaline et les emmerdes.
Et maintenant, elle payait. Pour lui.
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Le manoir était devenu une cage trop propre, trop calme.
On ne l'avait pas enfermée, mais tout dans cette maison disait "reste où tu es".
Elle voulait crier. Mais à qui ? À Luka ? Il ne l'écouterait pas. À Kyle ? Il ne répondait plus.
Elle monta les escaliers d'un pas lent, rentra dans sa chambre. Jeta un regard à sa valise vide, posée dans un coin. Elle n'avait rien. Pas un souvenir, pas un vêtement à elle, pas même une photo de son enfance. Tout avait brûlé.
Elle ouvrit la fenêtre. L'air frais lui fouetta le visage.
Elle respira. Longtemps. Les yeux fermés.
Elle aurait pu sauter. Elle y pensa. Juste une seconde.
Mais elle était trop en colère pour mourir.
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Luka entra sans frapper, en fin d'après-midi.
- Tu n'as rien mangé.
Alina, assise au sol contre le mur, leva les yeux. Elle ne dit rien.
Il s'approcha, posa un plateau sur la table. Du riz, du poisson, de l'eau.
- Je ne suis pas ton prisonnier, souffla-t-elle.
- Non.
- Alors arrête d'agir comme si j'étais ton problème.
Il resta debout, calme.
- Tu l'es.
Elle se leva d'un coup, le regard noir.
- Je ne t'ai rien demandé ! Tu crois quoi ? Que je vais pleurer dans tes bras parce que tu m'as "sauvée" de types encore pires que toi ?
- Non. Je crois que tu vas t'écrouler si tu continues comme ça.
Elle s'approcha, plus proche qu'elle ne l'aurait voulu. Assez pour sentir son parfum discret. Propre, sec, presque froid.
- Tu veux que je reste sage ? Que je mange ton riz, que je dorme dans ton lit d'hôtel cinq étoiles pendant que mon frère crève quelque part ? Que je fasse comme si ma vie ne venait pas d'exploser ?
Il répondit, très calmement :
- Je veux que tu restes en vie.
Elle le frappa.
Pas fort. Pas avec tout son poids. Mais avec tout ce qu'elle avait de douleur et de rage dans le ventre.
Sa main heurta son torse. Il ne broncha pas.
Le silence après le geste fut plus brutal que le coup.
Alina détourna les yeux. Ses poings tremblaient.
Luka parla enfin, la voix basse :
- Tu crois que tu es la seule à avoir tout perdu ?
Elle releva la tête. Il s'était éloigné, juste d'un pas.
- Tu crois que je suis né dans ce manoir, avec des gens pour m'apporter des plateaux en argent ?
Il la regarda droit dans les yeux.
- J'avais douze ans quand mon frère a été abattu devant moi. Quinze quand j'ai vu ma mère mourir pour une dette qui n'était pas la sienne. À seize ans, j'ai mis les mains dans la merde pour ne plus jamais dépendre de personne.
Il s'approcha à nouveau.
- Alors non, Alina. Je ne suis pas ton sauveur. Mais je suis la seule chose entre toi et ceux qui veulent te voir morte ou vendue au plus offrant. Alors frappe-moi si ça t'aide. Hurle. Mais reste vivante.
Elle resta figée.
Puis elle s'effondra.
Pas au sol. Pas en larmes. Mais en elle-même.
Elle alla s'asseoir sur le bord du lit, le regard vide.
- J'ai rien demandé de tout ça, murmura-t-elle.
- Je sais.
Il ne tenta pas de s'asseoir. Ne la toucha pas. Ne parla pas davantage.
Il resta là. Debout. Présent.
Et pour la première fois depuis qu'elle avait franchi les grilles de ce manoir, elle ne se sentit pas comme un pion. Pas comme une arme. Pas comme une dette.
Juste... une personne qui avait le droit de ne plus avoir de forces.
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Plus tard dans la nuit, elle se leva.
Toujours pas faim. Toujours pas sommeil.
Elle descendit, pieds nus, en silence. Les couloirs étaient plongés dans l'obscurité, sauf une faible lumière dans le salon.
Elle s'approcha. Luka était là, seul, devant un écran. Vidéos. Plan de la ville. Un schéma de déplacements.
Il ne se retourna pas.
- Ils se rapprochent, dit-il doucement.
Elle s'avança, sans bruit.
- Tu crois qu'ils vont tenter quelque chose ?
Il hocha la tête.
- Ce n'est plus une question de "si", mais de "quand".
Elle s'appuya contre l'encadrement de la porte.
- Et tu vas faire quoi ?
- Les intercepter. Avant qu'ils frappent.
- Et moi ?
- Tu restes ici. Tu t'occupes de toi. Tu guéris. Tu reprends des forces.
- Tu veux que je reste assise à attendre ?
Il la regarda. Un léger sourire amer au coin des lèvres.
- Non. Je veux que tu survives. Et après, tu feras ce que tu veux.
Elle baissa les yeux.
- Tu crois qu'il est encore vivant ? Kyle ?
Silence.
Puis :
- Je pense que tu dois commencer à te préparer à l'idée que non.
Elle hocha lentement la tête.
Pas une larme. Pas un cri. Juste cette vérité froide, brutale.
Kyle n'était pas un héros. Pas un frère exemplaire. Mais c'était tout ce qu'elle avait eu.
Et maintenant, même ça, elle le perdait.
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Dans les jours à venir, la menace se resserrerait.
Les visages cachés derrière les vitres teintées prendraient forme.
Et Alina allait devoir faire un choix : continuer à survivre sous la protection d'un homme qu'elle refusait de comprendre... ou reprendre le contrôle à sa manière.
Quoi qu'il arrive, elle ne se laisserait pas enterrer vivante.
Pas cette fois.
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